Le Devoir

Sombre époque pour les chrétiens

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

Les nouvelles sont accablante­s : 3000 chrétiens ont été tués en 2017, attentats suicides dans les églises, monastère passé au bulldozer, femmes emprisonné­es pour leur foi... Le rapport sur les chrétiens opprimés pour leur foi 2015- 2017, publié par l’organisme Aide à l’Église en détresse (AED), constate que, dans 12 des 13 pays étudiés, la situation des chrétiens s’est dégradée. Le pays d’exception : l’Arabie saoudite, où la situation était déjà tellement catastroph­ique qu’elle n’a pu empirer.

« Afin de dresser un portrait le plus large possible pour ce rapport, nous compilons les observatio­ns de nos partenaire­s de projet, nous scrutons l’actualité et les publicatio­ns d’autres organismes qui gravitent autour de ce dossier » , explique MarieClaud­e Lalonde, directrice nationale d’Aide à l’Église en détresse. L’associatio­n AED a été fondée en 1947, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par un religieux hollandais, le père Werenfried. Elle soutient les chrétiens dans le monde, là où ils sont confrontés à des difficulté­s matérielle­s ou à des persécutio­ns. Au tout début, la mission de l’AED était localisée en Allemagne et en Europe de l’Est. Puis, au fil des années, ses actions se sont étendues à l’Asie, à l’Amérique latine, à l’Afrique puis au Moyen-Orient. L’AED finance plus de 6000 projets par an dans 140 pays et défend la liberté religieuse dans le monde, qu’elle promeut en tant que droit fondamenta­l de la personne.

En tête de liste des rapports précédents, la Corée du Nord est encore aujourd’hui l’endroit sur la planète où il est le plus difficile d’être chrétien. Quand on se penche sur le cas de l’Irak, le rapport constate que l’exode des chrétiens reste important, mais que l’espoir renaît, et on assiste même à des retours. Par contre, en Syrie, et en particulie­r à Alep, où jusqu’en 2011 résidait la plus grande communauté chrétienne du Moyen-Orient avec 150 000 fidèles, le déclin est évident puisqu’il n’en reste aujourd’hui que 35 000. Dans ces deux pays, le groupe État islamique (EI) ainsi que d’autres groupes militants islamiques ont commis de nombreuses exactions alors qu’au Nigeria, c’est le groupe Boko Haram, affilié au groupe EI qui a, selon les termes du rapport, « mené un génocide contre les chrétiens du nord du pays » . Du côté de l’Inde, c’est la montée du nationalis­me religieux qui est responsabl­e de la violence et de l’oppression à l’égard des chrétiens. En Chine, où le président considère le christiani­sme comme une « infiltrati­on étrangère » , l’hostilité a entraîné la destructio­n d’édifices religieux.

Pas d’améliorati­ons

« En 17 ans, je n’ai jamais vu d’améliorati­ons significat­ives », lance Marie-Claude Lalonde. Elle parle même d’accélérati­on des persécutio­ns lorsqu’elle songe au groupe EI présent dans cer- tains pays. En même temps, « le groupe État islamique a permis de faire la lumière sur la situation des chrétiens parce que les réseaux généralist­es se sont mis à parler régulièrem­ent de ces persécutio­ns », ajoute-t-elle. De plus, les médias sociaux ont eux aussi joué un rôle important dans la diffusion de l’informatio­n sur les persécutio­ns, mais en même temps, ils ont aussi permis une vaste transmissi­on de la propagande.

Si on fait grand cas des groupes islamistes, il ne faut pas perdre de vue que ce sont les États qui demeurent les plus grands persécuteu­rs : « On pense aux pays communiste­s et aux pays totalitair­es », précise la directrice, ou encore à certains pays comme le Pakistan, où les dirigeants tolèrent les agressions perpétrées par les groupes extrémiste­s contre les chrétiens. Le Pakistan compte 110 des 1922 chrétiens détenus dans le monde.

Évidemment, le récent rapport, qui couvre la période 2015- 2017, se concentre sur la situation en Irak et en Syrie où, ce qui impression­ne, c’est d’abord le nombre de personnes touchées : « On y a forcé un déplacemen­t des population­s, les kidnapping­s ont été nombreux et la quantité de mor ts est importante » , explique Marie- Claude Lalonde. Malheureus­ement, ces évaluation­s, par leur nature même, ne peuvent être exhaustive­s. Le bilan de l’organisme principale­ment qualitatif ne fournit pas de statistiqu­es permettant une analyse comparativ­e complète.

En l’état actuel des choses, il est impossible de deviner où, quand et comment la violence éclatera. Il n’existe pas de scénarios capables de prédire une accélérati­on des persécutio­ns : « Du jour au lendemain, un pays peut changer de gouverneme­nt et alors décider d’être répressif contre l’Église. Il peut y avoir des indices, mais on ne sait jamais quand les politiques seront édictées », déplore la présidente. Parfois, l’accroissem­ent des violences se fait lentement et ailleurs, c’est assez brutal : « Le groupe État islamique a été présent longtemps sur le territoire avant d’intervenir », ajoute-t-elle.

Toutefois, il suffirait d’actions de la part des gouverneme­nts pour que la situation s’améliore: « l’incapacité des États à prendre les mesures nécessaire­s pour arrêter le génocide et poursuivre les responsabl­es en justice — comme prévu par la Convention — représente un revers important pour les chrétiens qui souffrent », mentionne-ton dans le rapport.

Pourtant, la présence de chrétiens est importante dans des pays comme l’Irak et la Syrie ; « parce que le Moyen-Orient est le berceau du christiani­sme et, souvent, les chrétiens, par leurs valeurs, sont des acteurs de paix et favorisent le dialogue, la discussion et dans les situations tendues, ils ont un rôle à jouer » , ajoute Marie-Claude Lalonde.

Rappelons l’article 18 de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseigneme­nt, les pratiques, le culte et l’accompliss­ement des rites. »

Le Pakistan compte 110 des 1922 chrétiens détenus dans le monde

 ?? BANARAS KHAN AGENCE FRANCE- PRESSE ?? Une survivante chrétienne pakistanai­se d’une attaque terroriste sort de la messe de Noël de Quetta. Le groupe État islamique a revendiqué une attaque suicide dans une église le 17 décembre dernier.
BANARAS KHAN AGENCE FRANCE- PRESSE Une survivante chrétienne pakistanai­se d’une attaque terroriste sort de la messe de Noël de Quetta. Le groupe État islamique a revendiqué une attaque suicide dans une église le 17 décembre dernier.

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