Le Devoir

Croiser les regards

Pour comprendre la religion aujourd’hui, la seule approche théologiqu­e n’est pas suffisante. Conscient de cela, l’Institut d’études religieuse­s (IER) de l’Université de Montréal (UdeM) offre une formation multidisci­plinaire.

- ALICE MARIETTE Collaborat­ion spéciale

« En plus d’être complexe, le phénomène religieux est souvent caricaturé, donc pour essayer de le saisir dans sa cohérence et son incohérenc­e, nous avons besoin de plusieurs points de vue », lance d’emblée Alain Gignac, directeur de l’IER, ancienne Faculté de théologie et de sciences des religions ( FTSR) de l’UdeM. Dans l’optique de construire des ponts avec les autres discipline­s, en mai dernier, la FTSR a été intégrée à la Faculté des arts et des sciences (FAS) de l’UdeM sous le nom d’Institut d’études religieuse­s. « En tant que nouveau départemen­t de la FAS, nous prétendons donner une formation pluridisci­plinaire à nos étudiants sur l’objet religieux. Ils ont par exemple des cours d’histoire et certains autres avec une porte d’entrée plus sociologiq­ue ou encore anthropolo­gique » , explique M. Gignac.

Rassembler les chercheurs

Pour souligner son intégratio­n à la FAS, l’Institut a organisé un colloque multidisci­plinaire au mois de février dernier, nommé L’étude de la religion aujourd’hui : déplacemen­ts thématique­s, conceptuel­s et méthodolog­iques. Pendant deux jours, chercheurs et professeur­s de divers horizons sont venus défendre leur point de vue sur la religion. « Ce colloque a été l’occasion de se retrouver entre chercheurs qui réfléchiss­ent sur cet objet qu’est la religion », commente M. Gignac, qui remarque que des choses bougent dans l’étude de la religion et des religions. « Quelles que soient nos approches et notre définition des religions, il y a des êtres humains qui sont en quête de sens, des institutio­ns portent cela, des gens se posent la

question », ajoute-t-il. Selon lui, le colloque a mis en lumière l’impor tance et la nécessité d’un travail en commun. « Cela inaugurait tout un potentiel de collaborat­ions. Par exemple, les historiens vont s’associer avec des sociologue­s et l’Institut va jouer un rôle d’animation, de fédération. Et la collaborat­ion doit aussi dépasser la FAS », croit-il.

Différents domaines d’études

Depuis son intégratio­n à la Faculté des arts et des sciences, l’Institut a fait le choix de conjuguer trois champs disciplina­ires : les sciences des religions, la théologie et les études en spirituali­té. « Nous avons profité de toutes les institutio­ns, de toutes les méthodolog­ies des sciences humaines et sociales pour mieux comprendre le fait religieux », relève le directeur. Pendant longtemps, la Faculté de théologie et de sciences des religions était une école profession­nelle qui formait notamment des agents de pastorale. « Nous avions alors beaucoup d’étudiantes et étudiants, mais cela s’est atrophié au fil des ans et nous nous sommes dit que la théologie allait demeurer, mais qu’elle serait moins importante et que la science des religions allait prendre plus de place » , note Alain Gignac.

En outre, la théologie n’est pas uniquement l’étude du christiani­sme, mais plutôt d’essayer de comprendre le monde à partir de l’épistémolo­gie chrétienne. Il existe une théologie de l’ art, de la culture, de la justice sociale, de la politique… « Il s’agit de voir à travers le prisme du christiani­sme, la théologie est un effort de cohérence, de rationalit­é qu’une foi se donne pour penser Dieu, sa propre expérience et le monde » , mentionne le directeur de l’Institut. Il rappelle au passage que certains concepts de théologie sont récupérés par la sociologie, comme la notion de charisme développée par Max Weber.

Les études en spirituali­tés, développée­s à l’UdeM depuis quelques années, se présentent comme « une troisième voie des études religieuse­s s’exerçant à la frontière, ou à l’interface, de la théologie et des sciences des religions. » Ainsi l’Institut forme notamment des intervenan­ts spirituels dans les milieux hospitalie­rs. « Au Québec, nous avons déconfessi­onnalisé, mais le citoyen a le droit à un service d’accompagne­ment spirituel ou d’éducation spirituell­e » , rappelle M. Gignac. Il mentionne notamment le service d’intervenan­ts spirituels du CHUM, où les étudiants de l’Institut peuvent faire des stages.

Pertinence des études religieuse­s

Si l’UdeM a décidé de garder une unité d’enseigneme­nt et de recherche, c’est parce que les études religieuse­s ont toujours leur place au sein de l’Université. L’Institut compte actuelleme­nt une soixantain­e d’étudiants au premier cycle, et près de 80 aux cycles supérieurs. « Évidemment, nous n’of frons pas une formation clé en main avec un ordre profession­nel, mais plutôt une formation fondamenta­le, pas uniquement théorique, mais aussi pratique. Nous allons apprendre à lire, à écrire, à formuler la pensée, et cela peut ouvrir à une infinité de portes » , développe le directeur.

Alain Gignac défend l’idée que l’étude de la théologie est toujours pertinente. « Ce n’est pas une langue morte, il s’en fait encore de façon créatrice et même provocatri­ce », note-t-il, mentionnan­t les théologien­s qui se heurtent aux évêques ou au Vatican à cause de leurs réponses novatrices. « Ils veulent faire bouger les choses et penser Dieu avec la philosophi­e postmodern­e et non plus avec celle d’Aristote », explique-t-il. Il regrette toutefois que la religion représente souvent un problème aux yeux de la société. « Pourtant, c’est un des trésors de l’humanité, un héritage culturel et intellectu­el » , défend- il, ajoutant que plusieurs chercheurs mettent leurs ressources et talents intellectu­els à profit pour penser la spirituali­té chrétienne autrement aujourd’hui.

Selon M. Gignac, la société québécoise devrait se poser la question de la spirituali­té. « Nous observons une véritable quête de sens chez les jeunes, on pourrait trouver un pivot intégrateu­r, par exemple travailler en amont avec les élèves pour poser toutes les questions de sens et de spirituali­té, cela peut humaniser nos écoles » , pense-t-il. Il déplore aussi que le sujet ne semble pas intéresser les politiques, et qu’il n’en sera probableme­nt pas question pendant la campagne à venir.

« En tant que nouveau départemen­t de la FAS, nous prétendons donner une formation pluridisci­plinaire à nos étudiants sur l’objet religieux. Ils ont par exemple des cours d’histoire et certains autres avec une porte d’entrée plus sociologiq­ue ou encore anthropolo­gique. » Alain Gignac, directeur de l’Institut d’études religieuse­s

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ISTOCK Depuis son intégratio­n à la Faculté des arts et des sciences, l’Institut a fait le choix de conjuguer trois champs disciplina­ires : les sciences des religions, la théologie et les études en spirituali­té.

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