AFFRONTEMENTS GAZA VIOLENTS DANS LA BANDE DE
Des heurts violents se sont produits entre Palestiniens et forces de sécurité israéliennes, vendredi, au premier jour d’une protestation de six semaines appelée la « Grande Marche du retour ». Au moins 16 Palestiniens sont morts et des centaines d’autres ont été blessés.
Ce qui devait être une marche pacifique s’est vite transformé en affrontements sanglants vendredi à Gaza. Au moins seize Palestiniens ont perdu la vie, sous les balles de l’armée israélienne, le plus lourd bilan des dernières années.
Des dizaines de milliers de Palestiniens, dont des femmes et des enfants, se sont rassemblés le long de la frontière qui sépare la bande de Gaza d’Israël, pour la « Grande Marche du retour ». Organisé par des civils — mais soutenu par le Hamas islamiste au pouvoir —, le mouvement de protestation doit s’étaler sur six semaines pour exiger le « droit au retour » des réfugiés palestiniens et dénoncer le blocus de Gaza.
S’aventurant à quelques centaines de mètres des barrières de sécurité, des manifestants ont lancé des pierres et des bouteilles incendiaires en direction des soldats israéliens.
Il ne leur en a pas fallu plus pour répliquer à coup de gaz lacrymogènes — notamment à l’aide d’un drone — et tirer de réelles balles sur la foule.
D’après le ministère de la Santé dans la bande de Gaza, 16 Palestiniens ont été tués et plus de 1400 blessés. Dans un discours vendredi, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a déclaré qu’il tenait Israël pour pleinement responsable de ces morts.
Inquiètes d’une quelconque tentative d’infiltration sur le territoire, les autorités israéliennes avaient prévenu que l’armée n’hésiterait pas à ouvrir le feu sur les protestataires.
Tôt vendredi, un agriculteur palestinien âgé de 27 ans a aussi été tué par un tir d’artillerie israélien dans le sud de l’enclave.
Relations tendues
Le scénario était pourtant « prévisible » de l’avis du professeur à l’Université du Québec en Outaouais Pierre Beaudet, qui rappelle à quel point les relations entre Israël et le Hamas ont toujours été tendues, d’autant plus dans la dernière année.
Entre le conflit sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem l’été dernier, le prochain déménagement de l’ambassade américaine et la situation toujours plus précaire des Palestiniens, « c’est une marmite qui était en train de déborder ».
Si l’État d’Israël fête ses 70 ans le 15 mai prochain, les Palestiniens attendent toujours la création de leur État.
La majorité des habitants de Gaza sont des descendants des Palestiniens qui ont fui les communautés sur le territoire israélien ou en ont été chassés.
« Le droit au retour des réfugiés » reste une revendication palestinienne fondamentale, mais, aux yeux des Israéliens, un obstacle majeur à la paix.
Vendredi marquait aussi la « Journée de la Terre » , qui souligne tous les 30 mars la mort en 1976 de six Arabes israéliens lors de manifestations contre la confiscation de terrains par Israël.
Fin du conflit ?
Pour Sami Aoun, professeur à l’Université de Sherbrooke, cette rébellion, tel un cri du coeur du peuple palestinien, ne réussira pas à faire pression sur Israël et à régler le conflit.
Un avis partagé par Pierre Beaudet, qui doute que les manifestations s’enchaînent ainsi jusqu’au 15 mai. « Il y a des limites à ce que les Palestiniens sont capables d’encaisser. Les familles ne veulent pas envoyer leurs jeunes se faire descendre comme des lapins. »
Les Palestiniens ainsi que la Turquie ont dénoncé un « usage disproportionné » de la force. La Ligue arabe, l’Égypte et la Jordanie ont aussi condamné la riposte israélienne. Le Conseil de sécurité des Nations unies a de son côté convoqué une réunion d’urgence vendredi.
« Encore un débat et le vote d’une résolution symbolique qui ne veut rien dire, prédit le professeur Beaudet. On constate depuis des années la dégradation de la situation sur le terrain, mais personne ne veut affronter les États-Unis. »
À son avis, la résolution du conflit israélo-palestinien repose majoritairement sur les épaules des États-Unis. « Ils ont déjà fait pression en 1991, sous George W. Bush père, forçant Israël à accepter des négociations sous la menace de leur couper les vivres. Mais c’est arrivé une seule fois en 50 ans et je doute que ça se reproduise avec Donald Trump », estime-t-il.
Si les États- Unis appuient depuis toujours Israël, Donald Trump a clairement défendu ce choix dernièrement, en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël et en décidant d’y transférer l’ambassade du pays le 14 mai.
Un geste qui n’a fait qu’envenimer encore plus la situation, les Palestiniens souhaitant faire de Jérusalem- Est, annexée par Israël, la capitale de l’État auquel ils aspirent. « Jérusalem, c’est le centre, le poumon économique, le symbole religieux. Une Palestine semi- indépendante ou autonome sans Jérusalem, c’est absolument impensable » , dit le professeur Beaudet.
Un conflit « banalisé »
À l’heure actuelle, la cause palestinienne garde « une attraction symbolique » , mais sur le plan diplomatique, opérationnel et stratégique, elle a perdu son effet mobilisateur, « banalisée, voire marginalisée par le reste du monde » , affirme M. Aoun.
Dans la région, chaque pays arabe est aux prises avec ses propres problèmes, rappelle le professeur à l’Université de Sherbrooke. « La Jordanie est dans une situation précaire, la guerre syrienne fait des milliers de morts chaque jour, on voit encore des attentats en Libye, au Yémen et en Arabie saoudite. Difficile pour la Palestine d’avoir un appui de ces pays déjà bien occupés. »
Et impossible de compter sur l’opposition israélienne pour stopper les violences. « Il y a beaucoup de monde contre [ le premier ministre] Benjamin Nétanyahou, plongé dans un scandale de corr uption, mais l’opposition est faible et fragmentée. Il n’y a aucun parti avec un vrai projet de société », renchérit Pierre Beaudet.