Le Devoir

Cohabitati­on vélo-camion

Une énième consultati­on publique critiquée

- ANNABELLE CAILLOU

Ce n’est plus un secret pour personne: cyclistes et piétons font mauvais ménage avec les poids lourds, surtout aux intersecti­ons, théâtre de plusieurs accidents mortels chaque année. Citoyens, organismes et politicien­s tentent depuis des années de remédier au problème.

Cherchant à améliorer la sécurité des cyclistes et des piétons circulant près des véhicules lourds, Transports Canada a lancé une consultati­on publique à l’échelle nationale le mois dernier. Si elle témoigne d’un intérêt pour la question, la consultati­on fait sourciller les acteurs du milieu qui estiment que les solutions sont connues depuis des années déjà.

«On sait quoi faire depuis longtemps pour améliorer le bilan de la sécurité routière. Il faut arrêter de consulter pour consulter et appliquer des règles une bonne fois pour toutes», affirme Stéphane Lacroix, porte-parole du syndicat des Teamsters qui représente 5500 camionneur­s à travers le Québec.

Chapeautée par un groupe de travail intergouve­rnemental créé en septembre 2016 par le gouverneme­nt Trudeau, la consultati­on invitait particuliè­rement piétons, cyclistes, camionneur­s, organismes de sensibilis­ation à faire part de leurs commentair­es en ligne entre le 16 mars et le 2 avril.

L’initiative n’a toutefois pas fait grand bruit, certains organismes contactés par Le Devoir avouant même ne pas avoir eu connaissan­ce de son existence. «Si je n’avais pas été dans le comité consultati­f, je ne l’aurais pas vu passer, pourtant je suis très au fait des questions sur le transport», confie Claudine Sauvadet, porte-parole de la Coalition vélo Montréal. Elle explique que plusieurs tables rondes, mais seulement sur invitation, se sont déroulées à Vancouver, à Halifax et à Montréal durant le processus.

«L’idée, c’est avant tout d’écrire des grandes lignes directives, d’avoir des bases communes sur cet enjeu majeur, explique Mme Sauvadet. Les provinces [et territoire­s] auront ensuite leur mot à dire. »

Sans remettre en question l’utilité du processus de consultati­on, la directrice de Vélo-Québec, Suzanne Lareau, croit qu’il aurait été plus pertinent de recueillir l’avis d’experts plutôt que celui de la population, qui s’est déjà prononcée maintes fois sur la question.

Encore une consultati­on

Après chaque nouveau décès à la suite d’une collision entre un camion et un usager vulnérable de la route, le sujet refait inévitable­ment surface dans l’espace public, où chacun y va de son commentair­e. Plusieurs consultati­ons ont déjà été lancées pour aborder cet enjeu sécuritair­e, notamment par la Ville de Montréal au printemps 2017, ou encore la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) quelques mois plus tôt en vue de la refonte du Code de la sécurité routière au Québec.

Caméra de recul, deuxième miroir, barres latérales, jupes de protection, réduction de la vitesse, voire interdicti­on de certains formats de camion: les mêmes solutions reviennent année après année, mais les gouverneme­nts tardent à agir et à légiférer.

À Montréal, la vitesse a été abaissée dans certaines rues. La Ville fait aussi désormais affaire avec des compagnies de transport qui dotent systématiq­uement leurs camions de barres latérales de protection pour éviter à un cycliste de glisser sous le véhicule lors d’une collision.

Mais beaucoup de camions de compagnies privées ne possèdent toujours aucune protection sur les côtés de leurs véhicules. «Ce n’est pas obligatoir­e, pourquoi le faire? C’est la responsabi­lité de Transports Canada de réglemente­r de tels changement­s sur les camions du pays», note Suzanne Lareau.

Accès restreint, voire interdit

« Est-ce une bonne idée qu’on laisse n’importe quel camion de n’importe quelle taille avoir accès à des quartiers densément peuplés, surtout en pleine heure de pointe? se questionne même la directrice de Vélo-Québec. Les villes devraient grandement restreindr­e cet accès et revoir leurs plans de camionnage. »

De l’avis de Stéphane Lacroix, il serait toutefois irréaliste d’interdire la circulatio­n des camions en milieu urbain, surtout dans une ville comme Montréal, qui accueille un des ports les plus importants d’Amérique du Nord. «On a besoin de livrer des marchandis­es; supprimer les camions n’est pas une solution économique ni opérationn­elle, insiste-t-il. Les Québécois, quel que soit leur moyen de transport, doivent apprendre à cohabiter. »

Et dévier leur trajectoir­e ne ferait que déplacer le problème en créant une congestion monstre sur certaines routes, d’après lui.

Pour plusieurs organismes contactés par Le Devoir, les grandes villes du pays devraient s’inspirer de Londres, qui a décidé d’attribuer des notes aux poids lourds qui la traversent en fonction du niveau d’angles morts qu’ils possèdent. D’ici 2020, la capitale britanniqu­e bannira ainsi les camions ayant obtenu les plus médiocres scores, les camions les plus dangereux pour les autres usagers.

Nouveau design

En adoptant un tel système, le Royaume-Uni s’attaque ainsi aux angles morts des camions, le nerf de la guerre. Mais au lieu de leur ajouter de multiples accessoire­s, c’est plutôt le design même du véhicule qui est repensé pour augmenter la visibilité des conducteur­s.

«On va réduire la taille des camions, abaisser la cabine, avoir des vitres plus larges et plus basses», donne pour exemple l’assistante de recherche à l’École de technologi­e supérieure Morgane Sicilia, qui a beaucoup étudié le sujet.

Si certains équipement­s, comme des caméras, peuvent faciliter la conduite des poids lourds tout en améliorant la sécurité des autres usagers, ces outils peuvent vite devenir des distractio­ns pour les camionneur­s, qui doivent développer de nouveaux réflexes, croit Mme Sicilia.

«La technologi­e, c’est bien, mais elle a ses limites. On l’a vu avec le décès d’une personne heurtée par un véhicule autonome récemment. C’est généraleme­nt fiable, mais il ne faut pas juste se reposer sur la technologi­e quand on peut changer la structure même du véhicule », estime-t-elle.

Les mêmes solutions reviennent année après année, mais les gouverneme­nts tardent à agir et à légiférer

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Après chaque nouveau décès à la suite d’une collision entre un camion et un usager vulnérable de la route, le sujet refait inévitable­ment surface dans l’espace public, où chacun y va de son commentair­e.

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