Le Devoir

Le cabinet Trudeau est divisé

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le cabinet de Justin Trudeau est divisé sur le sujet de la rémunérati­on des mères porteuses. Si certains ministres se disent ouverts à légaliser la pratique, d’autres croient qu’il s’agit d’une pente glissante qui pourrait fragiliser davantage les femmes vulnérable­s.

La semaine dernière, le député libéral de Montréal Anthony Housefathe­r a annoncé qu’il déposerait sous peu un projet de loi pour légaliser la rétributio­n des mères porteuses et des donneurs de sperme ou d’ovules. Depuis 2004, la rémunérati­on de ces pratiques est interdite et passible d’une peine de prison pouvant atteindre 10 ans et d’une amende maximale de 500 000 $. La loi n’a été appliquée qu’une seule fois, en 2014 : une amende de 60 000 $ avait été imposée.

La ministre de la Condition féminine, Maryam Monsef, n’a pas d’emblée fermé la porte à l’idée de son collègue député. « La nature des familles et leur réalité changent. Et ce projet de loi est une façon d’avoir une conversati­on posée à ce sujet », a-t-elle lancé aux journalist­es. La veille, dans une déclaratio­n écrite, elle avait rappelé qu’«à mesure que notre société progresse et en fonction de la diversité croissante des familles, nous assistons à une demande accrue pour la procréatio­n assistée pour aider des familles canadienne­s modernes à s’agrandir. Notre gouverneme­nt appuie cette pratique lorsqu’elle est menée dans un cadre sécuritair­e, juste et responsabl­e ».

Sa collègue aux Relations Couronne-Autochtone­s, Carolyn Bennett, appuie sans réserve le projet de loi. «J’ai toujours pensé que ce serait une erreur de criminalis­er à nouveau le corps des femmes.» Mme Bennett avait siégé au comité ayant en 2002 avalisé le projet de loi libéral qui instaurait les interdits. Mme Bennett, qui est médecin de profession, s’étaient inscrite en faux. «Je pensais qu’on aurait dû réglemente­r plutôt qu’interdire ces activités. »

Il en coûte entre 40 000 $ et 60 000 $ pour recruter une mère porteuse aux États-Unis

Élargir l’accès

Dans le camp des ministres favorables se trouve également Scott Brison, le président du Conseil du Trésor. M. Brison et son conjoint, Maxime St-Pierre, ont eu recours à une mère porteuse de Los Angeles pour concevoir leurs jumelles en 2014.

«La gestation pour autrui est quelque chose qui a clairement changé nos vies et qui nous a permis d’avoir une famille magnifique, a rappelé M. Brison. La gestion pour autrui, d’un point de vue financier, n’est pas accessible à beaucoup de famille. Alors, j’ai un grand intérêt à en élargir l’accès à plus de familles canadienne­s. Ce n’est pas seulement pour les couples de même sexe. C’est pour un large éventail

de couples qui, pour une raison ou une autre, ont de la difficulté à avoir des enfants. »

En se rendant aux ÉtatsUnis, le couple a échappé à l’interdit de rémunérati­on qui s’applique au Canada. Selon les intervenan­ts du milieu, il en coûte entre 40 000 $ et 60 000$ pour recruter une mère porteuse aux États-Unis. «Je dois reconnaîtr­e qu’une des raisons pour lesquelles nous avons eu cette chance, c’est que nous avions les moyens financiers, a continué M. Brison. Ce ne sont pas toutes les familles qui les ont. […] C’est trop cher pour beaucoup de familles. »

Des opposants aussi

D’autres ministres se sont montrées beaucoup plus réticentes. C’est le cas de la ministre de l’Emploi, Patricia Hajdu, une ancienne travailleu­se sociale dans le nord de l’Ontario. «Ce que je retiens de mon expérience auprès de population­s vulnérable­s c’est qu’il peut toujours y avoir un risque, lorsqu’on paye pour des services, que des personnes dans le besoin soient enclines à fournir ces services. »

La ministre du Revenu national, Diane Lebouthill­ier, s’est contentée de répondre que «pour [elle], ce qui prime est d’assurer la santé et la sécurité des femmes», mais son expression faciale trahissait une vive réprobatio­n. Quant à la ministre du Développem­ent internatio­nal, Marie-Claude Bibeau, elle dit avoir besoin de «plus de temps pour réfléchir à la question» avant de se prononcer. « Je pense que toute la question des remboursem­ents des dépenses, c’est une chose. Mais quand on parle de payer pour le service, là, c’est toute une question d’éthique », a-t-elle ajouté néanmoins.

En vertu de la loi de 2004, il est illégal de rétribuer les donneurs de gamètes ou les mères porteuses, mais il est permis de les dédommager financière­ment pour les dépenses légitimes engendrées par leur action. Ottawa devait spécifier par réglementa­tion quelles dépenses sont légitimes, mais cela n’a jamais été fait. Santé Canada a entamé des consultati­ons sur le sujet et celles-ci devraient se terminer en novembre prochain.

En 2014, le député conservate­ur Dean Del Mastro avait lui aussi déposé un projet de loi qui abrogeait les dispositio­ns de la loi interdisan­t la rémunérati­on des mères porteuses (il n’abordait pas les donneurs de gamètes). Ce projet de loi n’a jamais été débattu et est mort au feuilleton.

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