Le Devoir

Le gouverneme­nt décapite le programme de science au cégep

- RAYNALD RICHER Enseignant en physique

Nous avons besoin de scientifiq­ues qui en connaissen­t davantage et qui pourront s’adapter aux défis actuels et futurs de la mondialisa­tion et de l’intégratio­n des connaissan­ces technologi­ques

Le gouverneme­nt libéral et son ministère de l’Éducation veulent imposer un nouveau programme de science au collégial. Dans ce nouveau programme, on propose, entre autres choses, de supprimer ou de rendre facultatif­s plus de 40 % de la physique et au moins 30 % des mathématiq­ues. Ce sont des changement­s majeurs et injustifia­bles pédagogiqu­ement. En fait, le but plus ou moins avoué de ces changement­s est d’augmenter le taux de réussite et de faciliter l’entrée à l’université des étudiants et des étudiantes dans les sciences de la santé. Bref, sacrifier le niveau de connaissan­ce pour augmenter le taux de réussite.

Mais ces changement­s vont entraîner des effets encore plus pervers sur notre système d’éducation. Laissez-moi prendre comme exemple un étudiant que je connais bien et qui est entré cette année en génie à l’Université. Au début de la première session, sa cohorte se chiffrait à environ 140 étudiants. Après une session, on dénombre autour de 45 étudiants. Bref, plus des deux tiers ont abandonné. Il a survécu et il m’a confié qu’il était bien content d’avoir suivi au cégep le cours de mathématiq­ues avancé et que les cours de physique qu’il avait reçus couvraient heureuseme­nt toute la matière. Il s’est malheureus­ement rendu compte que plusieurs de ses collègues n’avaient pas toutes les connaissan­ces nécessaire­s pour réussir les cours. (Il faut savoir que les cours de sciences sont déjà à géométrie variable dans les cégeps.)

Bref, compte tenu des coupures prévues dans le nouveau programme, je peux vous certifier qu’il sera impossible aux étudiants de réussir cette première session en génie. Nous le savons, le ministère le sait et les université­s le savent. Alors, que va-t-il se passer? La réponse est simple : les université­s ajouteront une session ou une année d’accueil aux nouveaux étudiants, elles n’auront pas le choix.

Mais ce faisant, on peut se demander pourquoi faire deux ans de cégep en science pour aller en génie à l’université si on peut maintenant faire ses prérequis en physique et en maths en première année? Pourquoi allonger notre formation d’une année par rapport aux autres systèmes d’éducation ?

La formation générale

Ça ne prendra pas beaucoup de temps pour que l’on remette en cause la formation générale au cégep et que l’on favorise l’entrée à l’université par la porte technique ou par l’ajout d’une année au secondaire. Cela se fera « naturellem­ent ».

Bien sûr, tous ceux que cette réforme semblait avantager au départ en seront aussi affectés, car il n’y aura pas de raison de faire diffé- remment pour les sciences de la vie.

Peut-on penser que le gouverneme­nt libéral et son ministère de l’éducation sont en train de faire de la main gauche ce qu’ils ne peuvent pas faire de la main droite ?

Si le gouverneme­nt a l’intention de modifier en profondeur le système éducatif au Québec, il doit être transparen­t. Il doit imposer un moratoire sur cette réforme, énoncer clairement ses intentions et se soumettre au jugement de la population lors de la prochaine élection.

Par contre, si les actions du ministère ne reflètent pas les intentions du gouverneme­nt alors celui-ci n’a pas le choix, non plus, d’intervenir, d’arrêter cette réforme et de réitérer son intention de maintenir la qualité des programmes de science au cégep.

Bref, dans tous les cas, le ministre de l’Éducation se doit d’imposer un moratoire sur cette réforme et se questionne­r sérieuseme­nt sur la formation scientifiq­ue.

La réussite scolaire ne doit pas se faire au détriment de la qualité de la formation. Les connaissan­ces scientifiq­ues progressen­t constammen­t et en 2018, nous n’avons pas besoin de scientifiq­ues qui en savent moins. Nous avons besoin de scientifiq­ues qui en connaissen­t davantage et qui pourront s’adapter aux défis actuels et futurs de la mondialisa­tion et de l’intégratio­n des connaissan­ces technologi­ques. La compétitiv­ité scientifiq­ue du Québec et sa capacité d’innover en dépendent. Ce n’est pas en nivelant vers le bas que nous construiro­ns le Québec de demain.

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