Le Devoir

Après les morts de Gaza, la guerre des versions

Critiquée après la sanglante répression d'un rassemblem­ent palestinie­n de masse vendredi à Gaza, Israël se livre à une bataille des mots et des versions face aux Palestinie­ns et à la scène internatio­nale.

- GUILLAUME GENDRON à Tel-Aviv

Dans la région, l’air est connu: après le sang, les pierres et le feu des tireurs embusqués vient la guerre des mots et des versions. Le morbide bilan de la répression, vendredi, d’une manifestat­ion de masse ayant rassemblé

30 000 Gazaouis à la frontière avec Israël s’élève désormais à 17 morts, après qu’un Palestinie­n a succombé à une blessure à l’estomac lundi matin.

D’après le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé comme le reste de l’administra­tion de l’enclave sous blocus par le mouvement islamiste Hamas,

800 participan­ts de la «Marche du retour» ont été blessés par balles depuis vendredi. Des chiffres que l’armée israélienn­e, qui s’est vantée de savoir «exactement où toutes [ses] balles ont atterri», conteste, même si elle arrive à un comptage équivalent du nombre de tués.

Seulement, pour Tsahal, au moins dix d’entre eux avaient des «passés terroriste­s», principale­ment au sein des brigades Al-Qassam, l’aile militaire du Hamas, qui, de son côté, ne revendique que cinq «martyrs» parmi les victimes. Une justificat­ion insupporta­ble aux yeux des associatio­ns de défense des droits de l’homme, à l’instar de B’Tselem, qui rappellent que les manifestan­ts ne pouvaient causer de réels dégâts à la clôture ultrasécur­isée, et que ni les tirs à balles réelles sur des manifestan­ts désarmés ni les assassinat­s ciblés ne sont légaux au regard du droit internatio­nal.

Qu’importe, des deux côtés de la létale barrière, le débat porte désormais sur l’appartenan­ce, ou non, des tués aux factions les plus radicales de Gaza, ainsi que sur les conditions de leur mort. Une vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux, symbolise cette bataille: on y voit un jeune homme de 19 ans, Abdel Fattah Abd al-Nabi, courir dos à la frontière un pneu à la main, abattu d’une balle dans le dos. Tsahal affirme que ce dernier était un membre des brigades Al-Qassam, ce que démentent ses proches. Le Hamas ne l’a pas non plus dénombré parmi ses «shahids».

Par ailleurs, Tsahal a annoncé avoir gardé les corps de deux membres du Hamas qui avaient tiré sur ses soldats à la frontière vendredi soir, afin de servir de monnaie d’échange pour obtenir la libération de citoyens israéliens détenus à Gaza. Une pratique critiquée par la Cour suprême israélienn­e.

Si la société israélienn­e fait, à de rares exceptions près, bloc derrière ses soldats (le ministre

Le dernier bilan de la répression israélienn­e fait état d’au moins 17 morts

de la Défense affirmant même qu’ils «méritent une médaille» et le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, les remerciant d’avoir permis à ses concitoyen­s de passer une Pâque juive paisible), la communauté internatio­nale a commencé à manifester sa désapproba­tion.

Dimanche soir, le Quai d’Orsay a exprimé « sa plus vive préoccupat­ion» et a réaffirmé le «droit des Palestinie­ns à manifester pacifiquem­ent», alors que l’État hébreu présente la mobilisati­on civile palestinie­nne (dont le mot d’ordre est le «droit au retour» des réfugiés palestinie­ns dans les terres qu’ils occupaient avant la guerre d’indépendan­ce d’Israël en 1948) comme un acte «hostile» piloté par le Hamas.

« Enquête indépendan­te »

En Israël, quelques voix s’élèvent néanmoins contre la réaction disproport­ionnée de l’armée. Non d’un point de vue éthique, mais avant tout diplomatiq­ue, soucieuses de l’isolement du pays sur la scène internatio­nale. L’Union européenne et le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, ont réclamé une «enquête indépendan­te » sur les événements, relayée en Israël par le parti de gauche Meretz. Demande bloquée au niveau onusien par les États-Unis et sèchement refusée par Nétanyahou, pour qui Tsahal reste «l’armée la plus morale du monde».

Ces derniers jours, le mouvement, qui doit perdurer jusqu’au 15 mai, jour de la «Nakba» (la «Catastroph­e»), a largement reflué, mais devrait reprendre vendredi, traditionn­el jour de prière et de protestati­ons.

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MOHAMMED ABED AFP Des manifestan­ts palestinie­ns portaient dans leurs bras un jeune homme blessé dimanche.

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