Così fan tutte à Broadway
COSÌ FAN TUTTE Opéra de Mozart. Avec Amanda Majeski (Fiordiligi), Serena Malfi (Dorabella), Kelli O’Hara (Despina), Benjamin Bliss (Ferrando), Adam Plachetka (Guglielmo), Christopher Maltman (Don Alfonso). Choeur et Orchestre du Metropolitan Opera, David Robertson. Mise en scène : Phelim McDermott. Décors: Tom Pye. Costumes: Laura Hopkins. Mise en images: Gary Halvorson. Metropolitan Opera, samedi 31 mars 2018. Rediffusions: 5, 7, 9, 13 mai ou 2 juin selon les cinémas.
Ce Così situé par Phelim McDermott à Coney Island dans les années 1950, prend, au MET, le relais de la production en crinolines et décor XVIIIe de Michael Yeargan et Lesley Koenig à l’affiche régulièrement depuis 21 saisons. Rafraîchir, comme dans Rigoletto, l’esthétisme éventé, et le remplacer par une proposition novatrice forte, vise à montrer que l’opéra n’est pas désuet et participe de la tentative de renouvellement du public.
Le cirque sur scène
Fondamentalement, une production de Così se monte avec six chanteurs et quelques choristes. Le but du MET a été de remplir la scène et de créer un spectacle autour. Une troupe de douze artistes de cirque façon «bêtes de foire» — avaleurs de sabres, nains et autre femme à barbe (pour mémoire, la vogue du «freak show», qui a connu son apogée à la fin du XIXe siècle, était largement dépassée en 1950) — a été convoquée sur la scène, notamment pour habiller le cadre d’un parc d’attractions.
Par conséquent, ce Così fan tutte, coloré est un feu roulant façon Broadway, parfois vaudevillesque, notamment dans les scènes du motel, avec portes qui claquent et décors qui permutent. La production est évidemment l’antithèse de l’ascèse proposée par Anne Teresa De Keersmaeker à l’Opéra de Paris, également diffusée au cinéma avec les Québécois Michèle Losier, Frédéric Antoun et Philippe Sly et des noires lectures de Michael Haneke à Madrid et Patrice Chéreau à Aix. Le spectacle de Phelim McDermott dans des décors de Tom Pye, avec des costumes et accessoires très étudiés est bourré d’idées: le spectateur s’amuse et ne s’ennuie jamais.
Mais, à vouloir trop en faire un «show», Phelim McDermott dénature à mes yeux un aspect essentiel des ressorts dramatiques et psychologiques de Così fan tutte. Chez Mozart et Da Ponte, Guglielmo et Ferrando reviennent pour séduire, déguisés en étrangers mettant en avant exotisme et charme étrange. Il doit aussi être crédible qu’ils puissent être amis ou connaissances de Don Alfonso, un vieux philosophe.
Dans le spectacle de Phelim McDermott, rien de cela: Guglielmo et Ferrando, officiers de marine, fiancés à deux jeunes filles rangées, reviennent en petits «bums» italiens gominés d’origine indéterminée, mufles crétinoïdes qui marchent avec leurs chaussures sur les lits d’un motel.
Tout ce cirque vaudevillesque rend Così encore plus misogyne que nature, car l’attraction de Fiordiligi et Dorabella vers l’interdit ne peut être que pulsionnelle. Mais Così, ce n’est pas cela, puisque après la pulsion vient le chamboulement de la raison: à la fin, il y a engagement et mariage des jeunes femmes. Cette partie-là n’est absolument pas crédible dans le spectacle new-yorkais.
Bref, nous avons là « juste un spectacle» de l’un des opéras les plus profonds du répertoire, production superficielle d’un vernis qu’il ne faut surtout pas gratter. Pour incarner la chose, le Met n’a pas engagé des vedettes, mais une belle équipe avec des voix de Fiordilidgi et Dorabella très différenciées et une surprenante Despina, Kelli O’Hara, venue de Broadway, d’un abattage formidable et qui chante comme à l’opéra, en mettant en pratique sa leçon sur le roulement des «r» dans l’opéra italien.
Je ne peux statuer sur la balance de volume entre les hommes, ne sachant ce que les micros ont rééquilibré ou pas, mais Christopher Maltman (Alfonso) m’est apparu fatigué au IIe acte. Musicalement, le triomphateur fut le chef David Robertson, avec un bijou de direction translucide, très attentive aux bois.