Le Devoir

Jeune homme en colère

Le dramaturge et metteur en scène Philippe Ducros explore, avec poésie et révolte, la condition et les terres autochtone­s

- MARIE LABRECQUE

LA CARTOMANCI­E DU TERRITOIRE Texte et mise en scène de Philippe Ducros. Une pièce des production­s Hôtel-Motel. À Espace Libre, jusqu’au 7 avril.

Pour son nouveau voyage, cet éternel bourlingue­ur qu’est Philippe Ducros n’a pas quitté le Québec. Et pourtant, le dramaturge et metteur en scène rend compte d’un monde qui nous paraît trop souvent étranger. De ce road trip à travers les territoire­s des onze Premières Nations disséminée­s au Québec, il tire un spectacle sur «notre rapport aux réserves autochtone­s et aux réserves naturelles, sur la colonisati­on du territoire et de la pensée ».

Sorte de docu-théâtre engagé, mais irrigué par une langue poétique, souvent très belle, sa pièce témoigne d’une réalité choquante. Plus épuré dans la forme que certains des spectacles précédents de Ducros, La cartomanci­e du territoire rappelle des faits historique­s et des statistiqu­es accablants, aborde la question des réserves sans eau potable, du féminicide, du taux d’incarcérat­ion…

Mais l’état des lieux se dresse surtout à travers les témoignage­s d’autochtone­s rencontrés par Ducros, rendus dans des monologues livrés par Marco Collin et Kathia Rock. Puissant tableau, notamment, qui évoque l’épisode honteux des pensionnat­s, avec son legs du silence, entre la langue «oubliée» et la langue «forcée», et son lourd héritage de toxicomani­e.

S’il est une chose dont on ne peut jamais douter chez Philippe Ducros, c’est sa sincérité. L’auteur de L’affiche aborde cette question avec sensibilit­é et passion, dans un texte au lyrisme dense, où il révèle aussi une quête, un certain désarroi personnel. Outre son propre rôle, le seul personnage qu’il «joue» vraiment sur scène est cet autochtone incarcéré en Gaspésie — un numéro qui prend une couleur presque caricatura­le dans son jeu très expressif.

Autrement, — et sans toujours éviter, peut-être, de verser dans le discours, surtout vers la fin —, il fait preuve d’un respect indéniable envers une culture de laquelle il espère qu’on puisse apprendre la survie, à l’heure où l’humain met son environnem­ent en danger.

Un territoire exploité auquel le spectacle nous donne accès, grâce aux images somptueuse­s d’Éli Laliberté et de Thomas Payette. Projetées sur la totalité du mur du fond de la salle d’Espace Libre, une vision panoramiqu­e qui enveloppe un peu à la manière du cinéma immersif, elles disent aussi bien l’isolement, la force ou la dévastatio­n de ces décors nordiques. Les vidéos — qui se concluent par le plus beau des paysages: des visages humains — sont captivante­s de puissance et écrasent un peu le reste, parfois. Ces images offrent en tout cas le plus convaincan­t des arguments en faveur de cette préservati­on de l’héritage environnem­ental que le spectacle défend.

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