Le Devoir

La tragédie restera impunie

La demande d’une enquête publique se fait plus pressante avec l’arrêt des procédures criminelle­s contre la MMA

- ANNABELLE CAILLOU

Faute de preuves, le procès criminel contre la Montreal, Maine & Atlantic (MMA) n’aura pas lieu. Sans coupable au bout du compte, des citoyens de Lac-Mégantic relancent avec l’énergie du désespoir la demande d’une enquête publique indépendan­te pour faire la lumière sur la tragédie ferroviair­e.

« On aurait aimé des coupables pour enfin fermer le dossier. La seule façon d’obtenir des réponses, maintenant, c’est d’avoir une enquête publique pour éviter que l’irréparabl­e se reproduise», soutient Robert Bellefleur, porteparol­e de la Coalition des citoyens pour la sécurité ferroviair­e.

Jugeant les preuves insuffisan­tes contre la MMA, le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) a déposé mardi matin une demande d’arrêt des procédures au palais de justice de Sherbrooke.

«On n’était plus raisonnabl­ement convaincu d’obtenir une condamnati­on contre la MMA», a expliqué au Devoir l’un des procureurs Me Robert Benoit.

Une décision influencée par les verdicts de non-culpabilit­é de trois ex-employés de l’entreprise en janvier. Poursuivis au criminel, le chef de train Thomas Harding, le contrôleur ferroviair­e Richard Labrie et le directeur des activités de la MMA au Québec, Jean Demaître, ont été blanchis par le jury.

«Selon le Code criminel, pour démontrer la négligence criminelle d’une compagnie, il faut prouver sa responsabi­lité, c’est-à-dire est-ce que les employés et leurs superviseu­rs ont eu un comporteme­nt qui s’écartait de façon

marquée de ce qu’une personne raisonnabl­e aurait fait », a précisé le procureur.

L’arrêt des poursuites vient mettre un point final à toutes les procédures criminelle­s liées au dérailleme­nt d’un train en plein centre-ville de Lac-Mégantic qui a coûté la vie à 47 personnes le 6 juillet 2013.

Un procès inutile?

Loin d’être surpris de la décision du DPCP, l’avocat criminalis­te Walid Hijazi rappelle la complexité du crime dont il était question dans ce procès qui ne verra jamais le jour.

«Il aurait fallu prouver que les dirigeants savaient que l’entretien de leur train était déficient et mettait le public en danger, et qu’ils ont fait abstractio­n de ce risque. Ce n’est pas facile à prouver hors de tout doute raisonnabl­e», assure Me Hijazi.

D’autant plus qu’un jury de douze personnes avait déjà acquitté des employés de l’entreprise — accusés de la même infraction — qui avaient pourtant une «proximité avec la scène du crime» bien plus grande que les dirigeants de la MMA.

«On comprend que la poursuite ait préféré abandonner, ajoute l’avocat. C’est rare qu’on avance avec un dossier qu’on sait perdu d’avance uniquement pour faire plaisir à des sondages ou à l’opinion publique. »

Les Méganticoi­s eux-mêmes avaient la certitude que le procès ne mènerait à rien. « Ce procès aurait été long et aurait coûté des millions à la population pour pas grand-chose», fait remarquer Jean Clusiault, le père d’une des victimes de la tragédie, Kathy Clusiault.

«Il ne fallait pas s’attendre à retirer beaucoup d’argent de la MMA et encore moins la mettre en prison», renchérit Robert Bellefleur, de la Coalition des citoyens pour la sécurité ferroviair­e.

La MMA Canada et son pendant américain ont en effet été placés sous la protection de la Loi sur les arrangemen­ts avec les créanciers des compagnies. L’entreprise n’était même plus représenté­e par un avocat dans cette affaire.

Une enquête publique

«Étonnée» par la nouvelle, la mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin, compte bien poursuivre son combat politique. «Le seul pouvoir qu’on a aujourd’hui, c’est de s’assurer que ça n’arrive plus jamais. Ça va se faire en révisant la loi, en se mobilisant et en s’assurant que les règles qui seront en place en matière d’infrastruc­tures et en matière de réglementa­tion de sécurité sont respectées », a-t-elle déclaré.

Un comité fédéral révise actuelleme­nt la Loi sur la sécurité ferroviair­e et doit rendre un rapport au ministre des Transports, Marc Garneau, d’ici le mois de mai.

De leur côté, les résidents de Lac-Mégantic restent fermement sur leurs positions depuis des années et continuent d’exiger du gouverneme­nt fédéral la mise en place d’une enquête publique indépendan­te. Une pétition ayant recueilli des milliers de signatures a même été déposée à Ottawa en 2014, sous le gouverneme­nt Harper, mais n’y a trouvé aucun écho.

Les victimes ont beau avoir obtenu réparation, dans une certaine mesure, grâce aux poursuites pénales qui ont fait débourser des millions de dollars à la MMA, certains gardent le sentiment que justice n’a pas été rendue.

En février, l’entreprise a été reconnue coupable par la Cour du Québec d’avoir déversé du pétrole dans le lac Mégantic et la rivière Chaudière, imposant une amende maximale de 1 million de dollars. Cinq dirigeants de l’entreprise ont aussi dû payer chacun des amendes de 50 000 $.

Pour M. Bellefleur, l’important n’est plus de trouver un coupable, mais plutôt de mettre en évidence la « négligence systémique de l’industrie ferroviair­e». «Le pétrole était mal classifié, les wagons-citernes utilisés n’étaient pas appropriés pour passer au Québec, c’est un ensemble de facteurs à prendre en compte », déplore-t-il.

En plus d’apporter des réponses aux questions laissées en suspens, une enquête publique permettrai­t aussi de faire des recommanda­tions à Transport Canada pour améliorer la sécurité ferroviair­e et «prévenir d’autres éventuelle­s catastroph­es». «Ça ne ramènera pas nos morts, mais on aura le sentiment que la cause a servi à quelque chose», confie Robert Bellefleur.

 ?? PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE ?? Pas moins de 47 personnes sont mortes, un quartier — le centre-ville — a été anéanti, une ville entière a subi un grave traumatism­e, mais personne ne sera tenu criminelle­ment responsabl­e de cette tragédie, les poursuites intentées contre la compagnie...
PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE Pas moins de 47 personnes sont mortes, un quartier — le centre-ville — a été anéanti, une ville entière a subi un grave traumatism­e, mais personne ne sera tenu criminelle­ment responsabl­e de cette tragédie, les poursuites intentées contre la compagnie...

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