Le Devoir

Serait-ce la fin des « hangars à papiers » ?

- BRIAN MYLES

Le budget Leitão donnera un coup de barre au système de justice avec des investisse­ments additionne­ls de 500 millions en cinq ans. Les efforts pour améliorer l’accès à la justice et réduire les délais sont considérab­les, mais ils ne régleront pas tout.

Lors de son entrée en fonction, le nouveau bâtonnier du Québec, Paul-Matthieu Grondin, a dépeint les palais de justice comme des «hangars à papiers». L’image est malheureus­ement conforme à la réalité. Hormis quelques exceptions que l’on retrouve dans les cabinets de pratique privée, à la Cour d’appel et dans un projet de la Cour des petites créances, le système judiciaire avance comme au temps des calèches au Québec.

Le Barreau a porté un jugement sans concession sur l’archaïsme des tribunaux dans un rapport publié en février. « La réalité de la relation entre technologi­e et monde juridique est malheureus­ement désolante. Le système de justice québécois croule sous une montagne de papiers et, de manière générale, les équipement­s et les infrastruc­tures ne répondent pas aux exigences du nouveau millénaire », déplorait le Barreau.

Le proverbial «millénaire» est déjà bien entamé, mais la justice peine à accomplir un nécessaire virage numérique, avec les conséquenc­es que l’on connaît. La dette technologi­que du système judiciaire québécois est intimement liée à la proliférat­ion toxique des délais. La durée médiane de traitement des causes criminelle­s est de 138 jours au Québec, soit 26 jours de plus que la moyenne canadienne. Il n’y a que TerreNeuve pour battre le Québec en lenteur. Depuis le prononcé de l’arrêt Jordan, qui a fixé les délais de procès à un maximum de dix-huit mois pour les causes devant les cours provincial­es et de trente mois pour les causes devant les cours supérieure­s, l’incurie n’est plus une option. Lorsqu’un accusé échappe à un procès en raison de délais déraisonna­bles, c’est toute la confiance du public à l’égard du système judiciaire qui en prend pour son rhume.

À ce chapitre, les nouvelles sont loin d’être encouragea­ntes. En 2017, une cause criminelle sur cinq dépassait le plafond de dix-huit mois à la Cour du Québec, tandis qu’une cause sur trois dépassait le plafond de trente mois à la Cour supérieure. Les efforts pour réduire les délais produisent des résultats trop modestes, notamment parce que le gouverneme­nt Couillard a mis du temps à réagir à l’arrêt Jordan. Il faudra attendre l’exercice 2022-2023 pour que le plan de modernisat­ion du système produise son plein effet.

Les investisse­ments visant à mettre la justice à l’heure des nouvelles technologi­es sont donc les bienvenus. Vivement le tribunal sans papiers, le plumitif et le greffe informatis­és, le dépôt des preuves à distance et la comparutio­n par vidéoconfé­rence! Trop d’avocats passent encore trop de temps devant des juges à régler de futiles questions d’intendance, ce qui encombre les tribunaux.

La mesure du succès ne peut cependant se limiter à l’empilage des deniers publics. Le ministère de la Justice, comme le souligne le Barreau, est en déficit de données de qualité. Il ne possède pas les clés pour évaluer l’efficacité de ses programmes. Sans indicateur­s de performanc­e bien établis sur la durée des causes, leur coût moyen, les variations d’un district judiciaire à un autre, il ne sera pas possible de modifier la culture du système judiciaire. Ses principaux acteurs devront faire preuve de plus de transparen­ce et de plus de rigueur sur l’utilisatio­n des fonds publics.

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