Le Devoir

Le maillon manquant

- MANON CORNELLIER

La réforme du Code criminel présentée la semaine dernière par la ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, était attendue et a été généraleme­nt bien reçue. Elle demeure toutefois silencieus­e sur un enjeu crucial: les peines minimales obligatoir­es. La ministre a expliqué qu’elle ne voulait pas, parce qu’elle n’était pas prête à légiférer sur ce front, retarder le reste de sa réforme. Cet argument n’est pas sans valeur, mais on comprend mal ce qui bloque du côté des peines minimales obligatoir­es, surtout qu’elles contribuen­t à la crise des délais judiciaire­s.

Ces peines se sont multipliée­s ou ont été durcies sous les conservate­urs. On en compte maintenant environ 70. Et elles sont contestées. Selon un relevé effectué par le Globe and Mail, au moins 25 d’entre elles ont été invalidées par des cours provincial­es, supérieure­s ou la Cour suprême, créant un système à multiples vitesses. Des peines ne sont plus appliquées dans certaines provinces, mais le sont encore là où elles n’ont pas été invalidées.

Très critiquées, elles empêchent les juges, au moment de la déterminat­ion de la peine, d’imposer une sentence prenant en compte les circonstan­ces particuliè­res d’une cause. Elles découragen­t de plaider coupable en échange d’une peine réduite, ce qui allonge les procédures. On observe aussi un plus grand nombre de peines d’emprisonne­ment, également plus longues, pour certains types de crime. Et il est démontré que les population­s plus vulnérable­s en subissent davantage les foudres.

Disant vouloir bien faire les choses, Mme Wilson-Raybould ajoute qu’elle poursuit ses consultati­ons et «écoute» les tribunaux qui ont rendu des décisions contradict­oires. Faut-il comprendre qu’elle voudrait avoir en main des décisions définitive­s avant de procéder au grand ménage ?

Ce serait attendre pour rien. La confusion et l’iniquité actuelles ne peuvent plus durer. La ministre nie vouloir éviter un ressac politique et d’être accusée d’être molle face aux criminels. Craint-elle alors de nouvelles contestati­ons? Elle peut largement y remédier en soumettant son projet à la Cour suprême afin d’obtenir son avis.

Cette dernière lui a déjà offert une piste en avril 2016 dans une affaire de possession de drogue. «Si le législateu­r tient à prévoir des peines minimales obligatoir­es pour des infraction­s qui ratissent large, il lui faut envisager de réduire leur champ d’applicatio­n de manière qu’elles ne visent que les délinquant­s qui méritent de se les voir infliger». Sinon, écrivait la majorité des juges, il faudrait accorder aux juges le pouvoir discrétion­naire d’imposer une peine plus juste, et constituti­onnelle, «dans des cas exceptionn­els».

Le jugement Lloyd a été rendu il y a deux ans. Il serait temps qu’on en tienne compte.

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