Walmart, le beau grand bateau
Il y a quatorze ans, quand le diagnostic de déficience intellectuelle de notre fils est tombé, on me répétait sans cesse que nous avions de la chance de vivre ici au Québec, havre de tolérance, d’ouverture et d’inclusion où il fallait grandir quand on avait des handicaps.
Depuis quatorze ans, j’ai lu des dizaines de rapports sur le sujet; les politiques d’accès aux services, les politiques de soutien, les politiques sur leurs droits… De merveilleux documents pleins de promesses dans lesquels on m’a laissé croire que les personnes handicapées avaient droit, comme l’ensemble des Québécois, à des services et à du soutien de la plus haute qualité pour veiller à assurer leur intégration sociale. Mes lectures me confirmaient que le Québec était bel et bien le jardin d’Eden où grandirait notre Thomas.
Il y a quatorze ans, nous avons dû attendre 18 mois avant de recevoir des services. Quand ils sont enfin arrivés, nous apprenions que ces ser vices ne lui seraient tout simplement pas offerts ou, dans le meilleur des cas, au compte-gouttes. «Mme Perrin, nous sommes conscients que votre fils a de grands besoins, mais nous n’avons malheureusement pas les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de Thomas en ergothérapie, en orthophonie, en physiothérapie et en psychoéducation. » Vlan dans les dents, ma grande rêveuse!
Depuis quatorze ans, les grandes illusions que me promettait le Québec, modèle incontournable de justice sociale, fondent comme neige au soleil. L’austérité des dernières années a fait que le réseau public se démantèle de jour en jour, les listes d’attente débordent, sans parler du réseau de l’éducation qui craque de partout et qui place nos enfants différents dans de grands stationnements où ils observent les aiguilles du cadran tourner ou, au mieux, où ils comptent les tic-tac de l’horloge s’ils ont eu le privilège d’apprendre leurs chiffres. Mais où est donc la précieuse intégration sociale qu’on m’avait promise et dont j’ai rêvé?
Une minorité sans voix
Depuis quatorze ans, des histoires comme celles vécues par ces personnes handicapées embauchées au rabais (6$ par jour) puis limogées du jour au lendemain se multiplient. L’affaire Walmart met un peu de lumière sur cette réalité qui touche une minorité sans voix et leurs parents trop épuisés pour la décrier.
Saviez-vous que ces prétendus employés salariés de Walmart n’en étaient pas au sens du Code du travail? Saviez-vous que la fragilité et la précarité de leur milieu de travail proche de l’esclavagisme résultent des ententes conclues entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et ces «citoyens corporatifs exemplaires». En fin de compte, selon vous, qui est vraiment responsable de ces situations dignes du Moyen Âge ?
Messieurs Couillard, Barrette, Proulx et Blais, votre navire coule à pic. Le largage de Walmart n’est qu’un sombre copié/collé de ce qui se vit dans le quotidien de ces personnes qui sont confrontées tous les jours aux manques flagrants et inquiétants de services. Y a-t-il encore un capitaine à bord à Québec pour s’assurer que ces personnes obtiennent des conditions solides de participation sociale à long terme — et non pas en épisodes de services?
Chers Québécois, vous avez été nombreux à vous joindre à la vague d’indignation et plusieurs d’entre vous ont clamé bien haut le boycottage de cette chaîne. Merci pour cette empathie. Les personnes ayant une déficience intellectuelle, leurs familles et leurs proches vous demandent un geste de plus; en octobre prochain, votez pour celles et ceux qui apporteront de réels changements et qui contribueront à une vraie qualité de vie pour eux. Comme société, nous sommes capables de faire mieux que rêver.