Les mères porteuses, un débat international
LUCE DE BELLEFEUILLE
Ex-directrice du Secrétariat à l’adoption internationale du Québec et membre du Groupe d’experts sur les mesures de régulation en matière de maternité de substitution transfrontalière; Service social international, Genève.
L ’intention du député fédéral Anthony Housefather de déposer un projet de loi privé visant à décriminaliser le recours aux mères porteuses vient réveiller un débat mis en sourdine depuis quelque temps. Il faut reconnaître que la maternité de substitution (appelée aussi gestation pour autrui ou mère porteuse) à des fins commerciales se répand au point d’être considérée aujourd’hui comme un marché très lucratif. Selon que les pays le permettent ou non et selon les moyens financiers des personnes désireuses de recourir à une «mère porteuse», ces projets peuvent se réaliser localement ou à l’international.
[…]
Le Canada n’est pas le seul à se retrouver dans une telle situation. Partout les points de vue se heurtent à des considérations d’ordre juridique, éthique, psychologique ainsi qu’aux considérations complexes du droit international.
Tout comme ce fut le cas à la fin des années 1980 en adoption internationale, la communauté internationale vouée au respect des droits des enfants réalise que la maternité de substitution visant à combler les demandes des adultes néglige trop souvent les droits inaliénables de ces derniers.
Consciente de se trouver devant les mêmes causes entraînant les mêmes conséquences qu’en adoption internationale, la Conférence de La Haye de droit international privé (CLH) a amorcé, dès 2011, une réflexion sur le phénomène des «mères porteuses». En 2013, le SSI, Service social international (ONG suisse voué à la protection des droits des enfants), a amorcé des recherches liées à cette nouvelle réalité.
En 2015, le SSI, soutenu par la CLH, a réuni un petit groupe d’experts qui a ébauché des principes de protection des droits des enfants en matière de maternité de substitution transfrontière. Ce groupe est devenu un «comité de pilotage » et s’est vu attribuer le mandat d’élaborer «des normes et des principes internationaux régissant les conventions de gestation pour autrui conformes aux règles et aux normes en matière de droits de l’homme, et en particulier aux normes relatives aux droits de l’enfant ».
En appui à ce comité restreint, le SSI a constitué un groupe d’experts de pratiques diverses à travers le monde. Son rôle est de débattre et de valider les travaux du comité de pilotage.
Le groupe d’experts s’est réuni en mai 2017 et en janvier 2018. La prochaine étape consiste à effectuer des consultations sur des points spécifiques et à peaufiner les principes suivant l’évolution des débats.
Ce travail de réflexion constitue une première mondiale pour définir un cadre de régulation pour la protection des droits des enfants en matière de maternité de substitution transfrontalière.
Une filiation non biologique comporte une part d’ombre qui s’inscrit dans la psyché de l’enfant
Qu’en est-il de l’enfant?
Je suis membre de ce groupe d’experts international. J’y représente le monde de l’adoption internationale. Au sein du comité consultatif, mon rôle est de refléter le point de vue silencieux et mésestimé des enfants nés d’une gestation pour autrui et de faire les parallèles avec la sphère de l’adoption internationale. C’est de rappeler qu’au centre de toutes ces réflexions, de tous ces débats et de toutes ces décisions, il existe un être bien réel qui aura à vivre avec une histoire bien différente de celles des autres.
L’expérience des enfants adoptés à l’international nous apprend qu’une filiation non biologique comporte une part d’ombre qui s’inscrit dans la psyché de l’enfant. Ce volet de la maternité de substitution se doit d’être considéré autant que le sont les aspects juridiques. Un silence autour de cet impact chez l’enfant convoité risque de mener au même mythe qu’en matière d’adoption internationale. Ce mythe veut qu’un enfant adopté en très bas âge se trouve à l’abri de tout effet psychique à moyen et à long terme.
Plusieurs commentaires exprimés au cours des derniers jours proposent une vaste consultation publique avant une décision législative. Cet appel reflète le malaise d’une partie de la population face à ce phénomène. Une acceptation sociale préalable est souhaitée. Il en va de l’équilibre entre droit individuel, droit collectif et droit international. Il en va des droits de tout enfant à être considéré comme un être humain et non pas comme un « objet de consommation ». Il en va du droit légitime des citoyens de se prononcer sur des enjeux entourant une pratique bousculant leurs valeurs.
À ce propos, la rapporteuse officielle aux Nations unies pour les questions de vente, de trafic et d’exploitation des enfants a déposé récemment son rapport annuel. L’essentiel porte sur la gestation pour autrui et la vente des enfants. Ses conclusions précisent ceci: «Afin de satisfaire à leur obligation d’interdire la gestation pour autrui, et de créer des garanties pour prévenir de tels actes, les États devraient interdire la gestation pour autrui commerciale jusqu’à ce qu’une réglementation appropriée soit mise en place, y compris un cadre juridique clair et complet […] »
Dans ses recommandations, elle invite la communauté internationale à appuyer les travaux en cours sur la scène internationale, entre autres à «aider le Service social international à élaborer des normes et des principes internationaux régissant les conventions de gestation pour autrui qui soient conformes aux règles et normes en matière de droits de l’homme et en particulier aux normes relatives aux droits de l’enfant».
M. Housefather serait donc avisé de mettre de côté son projet de loi privé. Il vaudrait mieux que son gouvernement réponde favorablement aux recommandations formulées par les Nations unies et aide le SSI dans la poursuite de ses travaux.
Le gouvernement québécois aurait d’ailleurs intérêt à faire de même puisque ce dossier relève de sa juridiction, tout comme l’est l’adoption internationale.