Cinéma Philippe Lesage cherche le vrai dans la fiction
La Cinémathèque présente Copenhague A Love Story, de celui qui s’imposa ensuite avec Les démons
Philippe Lesage s’est d’abord fait connaître en 2010 avec son superbe documentaire Ce coeur qui bat. Il y eut d’autres documentaires, mais c’est vraiment le chouchou festivalier Les démons qui l’imposa, en 2015. Il s’agissait, pour le compte, de sa seconde fiction, car juste avant, le cinéaste en tourna une première demeurée quasi confidentielle : Copenhague A Love Story. Dans le cadre de son cycle Printemps nordique, la Cinémathèque présente ce «film maudit» du 4 au 25 avril. En entrevue, le cinéaste revient sur cette aventure inusitée à la lumière de ce qui vint ensuite.
Tourné à l’arraché en 2014, Copenhague A Love Story relate les parcours sentimentaux croisés de Philippe, cinéaste québécois venant de terminer un contrat d’enseignement dans la ville du titre, et Emil, un ancien élève chez qui il passe la nuit après une rupture pénible.
Dans les faits, Philippe Lesage a bel et bien enseigné au European Film College du Danemark, où il avait étudié quelque dix ans plus tôt; parcours atypique et passionnant que le sien.
« Après l’école de cinéma à Copenhague, j’étais un peu un cinéaste de sous-sol. J’écrivais des scénarios dont personne ne voulait, comme ce pastiche de mes influences d’alors, un genre de Tarkovski rencontre Bergman, à Rivière-du-Loup. Une période sombre, quoique j’aime encore ce scénario. Mon idéalisme et ma ferveur ont peut-être effrayé les producteurs », hasarde-t-il en riant au souvenir de son intensité d’antan (dont des traces subsistent, heureusement).
Débuts décourageants
Sa première incursion professionnelle dans le «merveilleux monde du cinéma » aurait pu le décourager d’office.
«On m’a confié le making-of d’un film québécois et moi, j’ai voulu faire un exercice de cinéma-vérité, sans complaisance. Un des acteurs a fait, je crois, une overdose… Le producteur n’a pas aimé le jour sous lequel il apparaissait… Bref, on a censuré mon making-of. Mais ça m’a donné le goût du documentaire. Mon oncle m’a ensuite proposé d’en tourner un sur le sociologue Alain Touraine [Pourrons-nous vivre ensemble ?, 2006]. »
Tout ça pour revenir à Copenhague, en 2008-2009, où Philippe Lesage enseigna le documentaire à son ancienne école.
«C’est là que j’ai rencontré tous ces élèves qui, après leur diplôme, se sont retrouvés dans ce qui allait être mon premier film de fiction. »
Avant d’y arriver, il tourna encore trois documentaires: Comment savoir si les petits poissons sont heureux?, coréalisé en Chine avec son frère Jean-François Lesage, Ce coeur qui bat, filmé à l’Hôtel-Dieu et captant l’âme du lieu, puis Laylou, sur le dernier été adolescent de deux jeunes filles.
Urgence de tourner
Vint enfin Copenhague A Love Story. Dans l’attente du financement pour Les démons, vers 2013, Philippe Lesage ressentait l’urgence de tourner: c’était impératif.
«J’avais un scénario d’à peu près une dizaine de pages contenant plusieurs esquisses. Plein de choses se sont décidées pendant le tournage — ça m’étonne que le film ait cette cohésion. Je me suis pas mal inspiré de ce qui se passait. Par exemple, tout le volet avec Victoria [Carmen Sonne] et sa valse-hésitation avec Emil [Falke], ça vient de ce qu’Emil lui-même me parlait sans arrêt d’elle, car il en était très amoureux. À tel point que je me suis dit que ce serait bien d’incorporer Victoria dans le projet. Pendant la production, j’ai constaté qu’Emil commençait à être jaloux de Victoria et moi alors que, contrairement à ce qui survient dans l’intrigue, il n’y avait rien entre nous dans la vraie vie. Cette tension, je l’ai aussi incluse dans le film. J’utilise les vrais prénoms, et on joue tous une version caricaturée, par rapport à la réalité, de nous-même. »
Philippe Lesage touche là un aspect fondamental du film, qui relève en partie de l’autofiction. Il s’y met en scène avec son ex Charlotte Uldall Baatrup, tous deux rejouant une dispute survenue quelques années auparavant. On le précise, l’auteur n’est pas tendre avec son alter ego.
«Toutes les ruptures sont un peu laides et pathétiques, et nous les garçons, nous avons un don pour l’être davantage, laids et pathétiques», rit-il. « Qui plus est, je devais prêcher par l’exemple: je demandais à tout le monde de se mettre à nu, donc il allait de soi que je me dévoile également. »
Après une tournée de festivals, dont les Rendez-vous du cinéma québécois, Copenhague A Love Story ne bénéficia jamais d’une sortie en salle, d’où son statut de «film maudit». La raison? Une banale question de droits musicaux, avec entre autres chansons concernées Les passantes, de Georges Brassens, et Lady, Lady, Lady, propriété de Giorgio Moroder.
«On a pu s’entendre pour 30 000 dollars, mais seulement pour l’usage en festival et lors
de projections spéciales du type que proposent les cinémathèques. »
Démarche singulière
Malgré cette visibilité réduite, l’aventure profita à Philippe Lesage, dont l’angoisse à l’idée de se risquer hors du documentaire se dissipa. Plus important, Copenhague A Love Story le conforta dans son désir de « fiction personnelle ».
C’est gonflé à bloc qu’il arriva sur son film Les démons, plus ambitieux sur le plan cinématographique, et largement inspiré de sa propre enfance, acquiesce-t-il.
On l’écoute et on mesure combien sa démarche est singulière, Philippe Lesage s’étant d’abord investi dans le documentaire en traitant des sujets éloignés de lui, puis dans le cinéma de fiction en développant des scénarios autobiographiques.
«J’écris énormément, et en documentaire, je me sentais un peu frustré d’être privé d’une bonne part de l’écriture, qui se déroule essentiellement lors du montage plutôt qu’en amont. J’avais un besoin d’aller dans l’intime, le viscéral. »
Selon l’idée reçue, le documentaire est forcément « plus vrai». Or, chez Philippe Lesage, la fiction l’est tout autant, sinon plus ; fascinant paradoxe.
D’ailleurs, dans son prochain film, Élégie, dont il termine le montage au moment de l’entretien, le cinéaste poursuit dans la même veine en ramenant le personnage principal des Démons, devenu adolescent.
«Félix revient dans l’une des trois histoires entrelacées. J’ai comme l’impression que c’est la somme de tout ce que j’ai fait jusqu’ici. Il y a du Copenhague, du Démons, de mes documentaires… C’est une synthèse. Les quelques personnes qui l’ont vu avaient du mal à le catégoriser. Ça ne correspond à rien», conclut Philippe Lesage.
C’est dire que ça ressemblera sans doute, et on s’en réjouit d’avance, à son cinéma. D’ici à ce qu’on voie Élégie, Copenhague A Love Story offre une occasion idéale de comprendre ce que l’on entend par là.
COPENHAGUE
A LOVE STORY
Film de Philippe Lesage.
À la Cinémathèque québécoise les 4, 7, 10, 12 et 25 avril.
Je devais prêcher par l’exemple : je demandais à tout le monde de se mettre à nu, donc il allait de soi que je me dévoile également Le cinéaste québécois Philippe Lesage