Le Devoir

Les ambitions saoudienne­s suscitent le scepticism­e

Le royaume a révélé un projet solaire de 200 milliards

- ANUJ CHOPRA à Al Uyayna (Arabie saoudite)

Des ingénieurs testent en laboratoir­e la résistance d’un panneau solaire à une tempête de sable en Arabie saoudite, où les autorités ont lancé un ambitieux programme pour diversifie­r les sources d’énergie mais dont le gigantisme suscite des interrogat­ions.

Le premier exportateu­r mondial de pétrole est un champion improbable de l’énergie propre. Le laboratoir­e d’Al Uyayna, un village proche de Riyad, est le symbole de la volonté saoudienne de développer une diversité énergétiqu­e.

Un projet solaire de 200 milliards de dollars a été révélé la semaine dernière en partenaria­t avec le groupe japonais SoftBank.

Le protocole d’entente, signé le 27 mars par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à New York, vise à générer jusqu’à 200 gigawatts d’électricit­é d’ici 2030, soit cent fois la capacité des plus grands projets actuels.

S’il était construit sur un seul site, le parc solaire couvrirait deux fois la superficie de Hong Kong, selon un calcul de Bloomberg News.

«Nous pouvons le faire», affirme Adel al-Sheween, directeur du laboratoir­e solaire à la King Abdulaziz City for Science and Technology. «Cela pourrait prendre du temps, mais nous avons toutes les matières premières: le soleil, l’espace, et surtout la volonté», dit-il à l’AFP lors d’une visite de l’installati­on baptisée Solar Village.

Le site, qui comprend un champ solaire fournissan­t en électricit­é les villages voisins, a

été créé il y a environ trois décennies. Mais il prend de l’importance aujourd’hui.

Rôle des hydrocarbu­res

L’Arabie saoudite utilise le pétrole et le gaz naturel pour répondre à une demande croissante en électricit­é et pour dessaler l’eau, consommant l’équivalent de 3,4 millions de barils par jour.

Ce chiffre devrait atteindre 8,3 millions de barils dans 10 ans, selon la King Abdullah City for Atomic and Renewable Energy, soit la plus grande partie de la production du royaume.

«L’Arabie a depuis longtemps l’ambition de devenir exportateu­r de pétrole et aussi de gigawatts », explique à l’AFP Ellen Wald, membre du groupe de réflexion pro-saoudien Arabia Foundation et auteur du livre Saudi Inc.

Mais l’ampleur du projet, qui vise à produire bien audelà des besoins du royaume, soit 120 gigawatts d’ici 2032, suscite un certain scepticism­e.

«Bien que l’Arabie saoudite ait plus qu’assez de terres désertique­s non arables et inoccupées, elle n’a pas vraiment besoin d’autant d’énergie solaire», estime Bart Lucarelli, directeur à la société de conseil AWR Lloyd.

Elle «a besoin d’un équilibre» entre énergies renouvelab­les et fossiles.

«Il y a eu des conjecture­s sur la question de savoir si cette capacité solaire peut être construite dans ce laps de temps et dans un seul pays. Le consensus est que le chiffre de 200 gigawatts est excessif», dit-il à l’AFP, notant que le protocole d’accord signé à New York n’est pas contraigna­nt.

Pour gérer une telle puissance, des experts estiment que le royaume saoudien devrait engager d’énormes investisse­ments pour moderniser son réseau électrique et mettre en place des installati­ons de stockage à grande échelle.

Des raisons claires

Le choix du solaire semble être dicté autant par l’économie que par la géopolitiq­ue.

«Le problème de l’Arabie est que [ses rivaux] l’Iran et le Qatar ont des réserves de gaz qu’elle n’a pas», souligne James Dorsey, expert du Moyen-Orient à la S. Rajaratnam School of Internatio­nal Studies de Singapour.

«C’est pour cela que les énergies renouvelab­les figurent en bonne place dans le programme de réformes du prince Mohammed» qui, audelà de l’économie, veut asseoir le statut de grande puissance régionale de son pays.

L’Arabie saoudite a aussi le projet, pour produire de l’électricit­é, de construire 16 réacteurs nucléaires civils dans les deux prochaines décennies pour 80 milliards de dollars.

Mais l’électricit­é d’origine solaire coûte moitié moins que celle d’origine nucléaire.

Le «Fonds Vision» de SoftBank investira 1 milliard de dollars dans la première phase du projet solaire, mais on se demande d’où viendra le reste de l’argent.

L’Arabie saoudite a impression­né des investisse­urs ces derniers mois avec plusieurs mégaprojet­s, mais des voix sceptiques s’interrogen­t sur leur viabilité à l’ère du pétrole bon marché qui a réduit les capacités financière­s du royaume.

Celui-ci a notamment dévoilé en octobre NEOM, un projet de Silicon Valley régionale sur les bords de la mer Rouge nécessitan­t 500 milliards de dollars.

«Mettre de l’argent dans un projet solaire ou une ville hightech ne fonctionne­ra pas à moins d’être accompagné d’une technologi­e qui marche et d’une gestion efficace», estime Ellen Wald.

«Il est fort probable que le résultat final des mégaprojet­s sera nettement différent de la vision qu’on en présente aujourd’hui ».

 ?? FAYEZ NURELDINE AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le projet vise à produire bien au-delà des besoins du royaume, soit 120 gigawatts d’ici 2032.
FAYEZ NURELDINE AGENCE FRANCE-PRESSE Le projet vise à produire bien au-delà des besoins du royaume, soit 120 gigawatts d’ici 2032.

Newspapers in French

Newspapers from Canada