Le Devoir

La fusion sera contestée devant les tribunaux

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Forts d’un avis juridique jugeant illégale la fusion, en 2015, des conseils d’administra­tion du CHUM et du CHU Sainte-Justine, les médecins de l’hôpital pédiatriqu­e s’adresseron­t aux tribunaux, espérant la faire annuler.

En assemblée générale le 22 mars dernier, les médecins du CHU Sainte-Justine ont adopté une résolution autorisant le Conseil des médecins, dentistes et pharmacien­s (CMDP) à entamer des actions juridiques. Ce sont 150 médecins, sur une possibilit­é de 367, qui assistaien­t à cette assemblée générale, indique la présidente du CMDP, la Dre Valérie Lamarre. La résolution a été adoptée à l’unanimité.

Dans l’avis juridique dont

Le Devoir a obtenu copie,

Me Sylvain Lussier, du cabinet Osler, Hoskin et Harcourt, conclut que le décret qui a mené à la fusion des deux conseils d’administra­tion «n’a pas respecté la loi » et « peut être annulé ».

Pour aller de l’avant, le CMPD doit déposer une demande de nullité par pourvoi en contrôle judiciaire à la Cour supérieure. La Dre Lamarre dit qu’elle compte agir en ce sens d’ici la fin de la présente session parlementa­ire.

«Le décret a été adopté sous de fausses prémisses; on veut exposer la mauvaise façon dont cela a été fait», explique cette dernière en entrevue.

Depuis plus de deux ans que la mobilisati­on autour de cette question reste sans résultat, elle refuse de reculer. Pourquoi? «Il faut avoir

Les médecins estiment que Gaétan Barrette a omis de mener une consultati­on prévue à la loi

tout tenté. Si ça ne fonctionne pas, aux archives, ce sera clair qu’on a mis toute l’énergie et l’intelligen­ce nécessaire­s » pour faire annuler la décision, soutient-elle.

À l’automne 2015, c’est à la surprise générale que les conseils d’administra­tion des deux hôpitaux ont été dissous puis fusionnés. Les deux établissem­ents sont depuis dirigés par un seul et même p.-d.g., Fabrice Brunet. Une large coalition regroupant des associatio­ns de parents, des médecins, des infirmière­s et l’Associatio­n des pédiatres du Québec réclame la pleine autonomie pour l’établissem­ent pédiatriqu­e.

L’absence de consultati­on problémati­que

C’est l’absence de consultati­on préalable qui contrevien­t à la loi, selon Me Lussier.

La jurisprude­nce est «constante», stipule l’avis juridique: «Si l’obligation de consulter n’a pas été respectée, la décision qui devait en être précédée est nulle. »

La loi, mieux connue sous le nom de «loi 10», soit la grande réforme administra­tive du ministre Gaétan Barrette, stipule que la fusion de conseils d’administra­tion est possible «après avoir consulté les établissem­ents concernés». Ces précisions sont intégrées à l’article 146 de la Loi modifiant l’organisati­on et la gouvernanc­e du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales.

Le décret de septembre 2015 qui ordonne la fusion des deux conseils d’administra­tion mentionne que «les établissem­ents concernés par la décision du ministre ont été consultés ». Or il n’en est rien, soutiennen­t la Dre Lamarre et Me Lussier.

Ni le CMDP, ni le Conseil des infirmière­s et infirmiers, ni le Conseil multidisci­plinaire, ni les syndicats de Sainte-Justine n’ont été consultés, selon la Dre Lamarre et Me Lussier. «La consultati­on, ce n’est pas donner un coup de téléphone. Il y a une façon de faire, et ça n’a pas été fait», dénonce la Dre Lamarre.

«J’ai parlé à tout le monde, aux médecins, aux infirmière­s, affirme aussi Me Lussier. Personne n’a été consulté. »

La loi a été «respectée» assure Québec

Le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, assure avoir respecté la loi, y compris l’article 146. «Nous nous sommes assurés […] de respecter la législatio­n applicable », a répondu par écrit l’attachée de presse du ministre, Catherine W. Audet. «Toutes les étapes ont été respectées quant au décret gouverneme­ntal autorisant la fusion des CA du CHUM et de Sainte-Justine », ajoute-t-elle.

Le Devoir a ensuite demandé quels acteurs avaient été consultés, quand et comment. Mme Audet a répondu que les «établissem­ents concernés ont été consultés ».

La direction générale du CHU Sainte-Justine a indiqué jeudi au Devoir qu’elle ne ferait pas de commentair­es dans ce dossier.

Qui le ministre aurait-il dû consulter, et comment? Bien que les modalités de consultati­on ne soient pas explicitée­s dans la loi, la jurisprude­nce, elle, est claire, estime Me Lussier. «Les tribunaux sont intervenus sur cette question», explique-t-il en entrevue.

Aussi, une consultati­on exigerait de fournir l’informatio­n nécessaire aux acteurs concernés, de leur donner la possibilit­é de poser des questions et de recevoir des réponses, de leur donner le temps nécessaire pour faire valoir leur opinion et d’en tenir compte dans la prise de décision. Et ce, bien que «le droit d’être consulté ne donne pas un droit de veto», précise l’avis juridique.

Et Québec sait très bien comment faire, puisqu’une consultati­on exemplaire a été menée lorsqu’il a été question de fusionner le CUSM avec les autres établissem­ents de l’ouest de Montréal, fait valoir Me Lussier.

En effet, pour étudier cette possibilit­é, un mandat de consultati­on avait été confié au Dr Arvind K. Joshi. Après avoir consulté plus de 800 personnes, ce dernier remettait un rapport en juillet 2017 concluant qu’il serait inappropri­é de procéder à la fusion pour le moment.

«Je comprends que, pour le CUSM, c’était plus gros, c’était une fusion d’établissem­ents et non un regroupeme­nt, concède la Dre Lamarre. Mais comment se fait-il que, dans un cas, 800 personnes ont été consultées alors que, dans l’autre, le ministre contacte, à ce que je sache, une personne, [c’est-à-dire le p.-d.g.] Fabrice Brunet ? »

Le CMPD a fait parvenir jeudi une lettre au président-directeur général du CHUM et du CHU Sainte-Justine, Fabrice Brunet, et à la présidente du conseil d’administra­tion, Geneviève Fortier, pour les informer de la décision de faire appel aux tribunaux.

Le temps presse, selon l’avis juridique de Me Lussier, car «plus le temps passe, plus le risque est grand que la Cour supérieure refuse d’inter venir ».

Une marche de protestati­on est par ailleurs prévue le 6 mai prochain.

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