Le Devoir

Walmart fait volte-face devant le tollé

L’entreprise se dit prête à réembauche­r les travailleu­rs qu’elle a congédiés

- ANNABELLE CAILLOU

Face à la grogne populaire, Walmart est revenue sur ses pas jeudi. Après avoir congédié des dizaines d’employés avec une déficience intellectu­elle la semaine dernière, en supprimant un programme qui favorisait leur embauche, l’entreprise a annoncé qu’ils pourraient retrouver leur travail s’ils le souhaitent.

«L’ensemble des anciens participan­ts du programme qui souhaitent revenir en succursale sous les mêmes conditions qui étaient offertes auparavant sont invités à le faire», a confirmé Walmart Canada, dans un courriel envoyé au Devoir.

Des discussion­s sont en cours entre l’entreprise, les principaux concernés, leurs familles ainsi que les organismes de services sociaux locaux pour trouver de nouvelles conditions à leur réinsertio­n dans les succursale­s. Certains pourraient même être «embauchés directemen­t », assure la compagnie.

Les employés étaient considérés jusqu’alors non pas comme des salariés traditionn­els mais des «participan­ts à un programme volontaire coordonné par des agences locales » qui favorisait l’intégratio­n des personnes ayant une déficience intellectu­elle ou un trouble du spectre de l’autisme.

En mettant fin à ce programme de formation profession­nelle, Walmart a mis à la porte des dizaines de personnes au Québec, dont dixneuf rien qu’en Mauricie. En tout, vingt-six succursale­s étaient concernées.

Rien n’est joué

Pour le Centre intégré universita­ire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS-MCQ), qui avait alerté les médias des pertes d’emploi, ce revirement de situation ne veut pas dire que tous les travailleu­rs remerciés récupérero­nt leur poste chez Walmart.

«Nous sommes à évaluer leur potentiel et leurs intérêts et ils devraient retrouver un emploi d’ici un mois. […] D’autres employeurs avec qui on a des ententes ont déjà manifesté leur volonté de les intégrer dans leur entreprise. Des [ex-employés de Walmart] ont même déjà commencé à visiter de nouveaux lieux», explique la responsabl­e des communicat­ions pour le CIUSSS-MCQ, Geneviève Jauron.

Si certains seront rassurés de retrouver leur ancien milieu de travail, d’autres, déçus, se tourneront plutôt vers une nouvelle entreprise, croit-elle.

Mme Jauron confirme néanmoins qu’une rencontre téléphoniq­ue a eu lieu mercredi entre l’agence locale et des représenta­nts de Walmart. Une offre devrait leur être transmise sous peu par écrit pour préciser les modalités de la nouvelle entente, l’ancien programme étant définitive­ment aboli.

L’offre sera considérée «au même titre que les autres», d’après Mme Jauron qui soutient que la rencontre de la veille «s’est bien déroulée».

Problème systémique

De son côté la directrice générale de l’Associatio­n du Québec pour l’intégratio­n sociale, Anik Larose, estime que la marche arrière de Walmart ne résout en rien le problème d’accessibil­ité à l’emploi des handicapés intellectu­els.

«C’est difficile pour eux. Mais c’est aussi problémati­que, voire catastroph­ique pour les familles qui s’occupent d’eux», confie celle qui est aussi la mère d’une enfant trisomique.

Les occasions sont rares pour ces personnes de pouvoir sortir de la maison, se faire des amis et côtoyer des collègues, rappelle-t-elle. «La meilleure façon de s’intégrer dans la société, ça reste par le travail. »

Si elle applaudit à la volonté du détaillant de réintégrer ses employés, elle regrette qu’une multinatio­nale de cette taille n’en profite pas plutôt pour devenir un «leader positif» dans le milieu et embaucher davantage de déficients intellectu­els.

Pour Sébastien Parent, doctorant en droit du travail à l’Université de Montréal, le dossier — qui semble désormais clos — aura au moins mis en avant les défauts d’encadremen­t de ce type d’emplois pour handicapés intellectu­els, à quelques mois des élections générales.

Image entachée

L’affaire a soulevé une vague d’indignatio­n au Québec, certains appelant même au boycottage du détaillant sur les réseaux sociaux. Walmart a rapidement présenté ses excuses samedi pour avoir « créé de la confusion et de la déception». La haute direction n’avait donné aucune explicatio­n sur les raisons entourant la suppressio­n du programme.

De l’avis de Sébastien Parent, c’est surtout l’image de la multinatio­nale qui en a pâti. Avec les réseaux sociaux, les décisions de grandes entreprise­s sont plus critiquées dans l’espace public. « Il y a une image de marque à préserver, un chiffre d’affaires à assurer», fait-il remarquer.

Mais juridiquem­ent parlant, Walmart risquait peu. «Contester les congédieme­nts, c’est compliqué, Walmart aurait expliqué que ce n’était pas de véritables salariés au sens de la loi, puisqu’ils étaient payés par des allocation­s assumées par les centres de services sociaux. Ils n’ont pas enfreint la loi. »

Le droit à l’égalité, garanti par la Charte des droits et libertés, aurait par contre pu être utilisé. « Ça aurait été facile de prouver que les salariés ont été congédiés selon une mesure discrimina­toire, puisque tous les concernés avaient un handicap», souligne M. Parent.

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