Le Devoir

Le savant et les politiques d’immigratio­n

Les relations tendues entre les immigrants musulmans et les sociétés occidental­es, expliquées par le professeur Ruud Koopmans

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Professeur à l’Université Humboldt de Berlin, Ruud Koopmans étudie les relations tendues entre les immigrants musulmans et les sociétés occidental­es. Ses conclusion­s ont parfois été utilisées par des mouvements xénophobes. Ce qui permet de reposer la question classique des rapports entre le savant et le politique.

Abeau séduire qui se tient au loin. Vu d’Europe, vu du reste du monde, le Canada est perçu comme une sorte d’eldorado de l’intégratio­n harmonieus­e des immigrants dans une société postnation­ale vivant dans la paix, la prospérité et le respect des différence­s ethnorelig­ieuses. Les États-Unis en mieux, quoi. Une sorte d’utopie multicultu­raliste réalisée. Un selfie de la famille Trudeau en sari et sherwani avec ça?

«En Europe, le Canada est souvent présenté comme un type idéal à suivre», résume Ruud Koopmans, professeur de sociologie de l’Université Humboldt de Berlin. Il prononce une conférence sur le sujet vendredi à 15 h au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’UdeM (CERIUM). Son titre demande si le multicultu­ralisme est un échec ou un succès.

«Les données sur le fondamenta­lisme religieux, le djihadisme, le taux d’emploi ou d’éducation des immigrants dépeignent une situation bien meilleure au Canada qu’en Europe. Pour comprendre pourquoi, il faut examiner la compositio­n des population­s migrantes. Elle est très différente au Canada. D’abord à cause des politiques de sélection des immigrants. Ensuite à cause de la position géographiq­ue de ce pays. Le Canada n’a pas le problème de recevoir aux frontières des masses de réfugiés. »

Le Canada a sélectionn­é quelque 300 000 immigrants en 2017 et reçu environ 50 000 demandeurs d’asile. L’Allemagne a accueilli 900 000 demandeurs d’asile rien qu’en 2015, surtout des Syriens.

Ruud Koopmans, lui, est originaire des Pays-Bas. Sa thèse de doctorat portait sur les nouveaux mouvements militants en Allemagne. Il a enseigné la sociologie à Amsterdam, puis à Berlin depuis 2007.

«Quand j’ai commencé mes recherches sur l’intégratio­n

«En » Europe, le Canada est souvent présenté comme un type idéal à suivre Ruud Koopmans, professeur à l’Université Humboldt de Berlin

et la diversité à la fin des années 1990, le sujet n’était pas autant dans l’air du temps. La situation a beaucoup changé, bien sûr, et il y a des fonds pour ces études. »

Trois dichotomie­s

Les perspectiv­es du professeur Koopmans peuvent être très schématiqu­ement présentées autour de trois dichotomie­s fondamenta­les.

Ouverture/fermeture. Les sociétés occidental­es sont tiraillées entre un courant favorable à l’ouverture des frontières et aux immigrants et une tendance à la fermeture plus ou moins serrée des passages.

«C’est très clair en Europe et aux États-Unis et au Canada, j’imagine que l’ancienne division de classe est remplacée par une nouvelle division opposant un courant cosmopolit­ain à un autre, communauta­rien », explique M. Koopmans.

Les cosmopolit­ains ont une attitude positive vis-à-vis de la mondialisa­tion. Ils sont pour l’immigratio­n, l’Union européenne ou l’ALENA. Ils font partie des gagnants de la mondialisa­tion. Ils sont éduqués, occupent de bons emplois liés à la mondialisa­tion, vivent dans les villes et voyagent.

Les communauta­riens demeurent plus enracinés dans leur communauté locale ou nationale. Ils sont moins éduqués, occupent des emplois menacés par la compétitio­n mondiale, vivent en périphérie des grandes villes. Ils s’affichent contre l’immigratio­n. «On reconnaît les électeurs types de Donald Trump», dit le sociologue.

Multicultu­ralisme/laïcité.

Les riches sociétés du Nord se distinguen­t aussi par leur modèle d’intégratio­n opposant le multicultu­ralisme à l’anglaise à la laïcité à la française.

«Le débat autour des deux options reste encore important dans tous les pays occidentau­x. Dans les faits, les deux modèles sont modifiés», dit M. Koopmans.

Le modèle multicultu­raliste mute aux Pays-Bas, en Suède, même au Royaume-Uni, où il s’est édulcoré. La France ne reste pas si fidèle non plus à son programme d’assimilati­on d’origine. Les cadres convergent parce que les versions pures ne fonctionne­nt plus.

«Les Pays-Bas ont constaté que les politiques multicultu­relles encouragea­nt la conservati­on des valeurs et coutumes des immigrants nuisaient à leur intégratio­n. La France a par exemple découvert qu’on ne peut pas nier les différence­s culturelle­s et qu’il faut des statistiqu­es d’État sur les origines ethniques ou raciales puisque les discrimina­tions se fondent sur ces réalités. »

Occident/musulmans. Cela dit, les sociétés occidental­es réussissen­t encore très bien à intégrer et à assimiler des immigrants, note le professeur. Seulement, il y a un os.

«Le groupe problémati­que est maintenant formé de musulmans religieux, affirme-t-il. L’Islam formule des demandes fortes à ses croyants en matière de pratique, mais aussi d’interactio­n avec les non-musulmans. Il devient donc plus difficile de franchir la frontière qui sépare un immigrant musulman religieux de l’intégratio­n et de l’assimilati­on. »

Ruud Koopmans a notamment comparé le fondamenta­lisme religieux des musulmans et des chrétiens par rapport à leur hostilité respective vis-à-vis d’autres groupes, dont les juifs et les homosexuel­s. Sa recherche portant sur six pays d’Europe date de 2015.

«Les conclusion­s de base étaient les mêmes partout. Un peu moins de la moitié, 45 % des musulmans, ont une conception fondamenta­liste de leur religion. Ils ne reconnaiss­ent comme possible qu’une seule interpréta­tion du Coran à imposer à tous. Ils croient que les règles du Coran sont supérieure­s aux lois du pays qu’ils habitent. »

Ce fondamenta­lisme serait aussi fermement lié à une hostilité envers les juifs et les homosexuel­s.

«Dans les écoles allemandes, de jeunes juifs sont maintenant agressés par de jeunes musulmans qui tirent leur antisémiti­sme de leur fondamenta­lisme religieux, note le Berlinois. Les mécanismes fondamenta­ux sont les mêmes chez les fondamenta­lismes chrétiens, contre les musulmans par exemple. Ils sont par contre beaucoup moins présents.»

De l’instrument­alisation

En fait, l’hostilité envers les musulmans s’exprime à partir de positions politiques plutôt que religieuse­s.

Certains travaux du professeur Koopmans ont d’ailleurs été utilisés par des groupes de la branche communauta­rienne, voire nationale-conservatr­ice, comme l’Alternativ­e pour l’Allemagne (AfD). Les courants antimusulm­ans, voire islamophob­es existent aussi ici, dans l’eldorado multi. Faut-il rappeler l’attentat de Québec ?

Ce qui ramène finalement au problème des rapports entre le savant et le politique.

« Je suis un scientifiq­ue et je fais des recherches universita­ires, répond Herr Prof. Dr. Koopmans

« Je souhaite que mes résultats soient communiqué­s à toute la société. Je n’ai qu’un contrôle limité sur ce qu’en fait ensuite la société. Je crois aussi que si les xénophobes et les racistes sont capables d’utiliser certaines de mes données, c’est parce que les problèmes qu’elles soulèvent ne sont pas assez discutés par les médias et les politicien­s plus raisonnabl­es.

En ignorant certains problèmes, on laisse le champ libre aux populistes. »

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JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE Selon Ruud Koopmans, les sociétés occidental­es sont tiraillées entre un courant favorable à l’ouverture des frontières et une tendance à la fermeture plus ou moins serrée des passages.

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