Le Devoir

Pour en finir avec les querelles linguistiq­ues

- JEAN-PIERRE ASSELIN DE BEAUVILLE Ex-vice-recteur à l’Agence universita­ire de la Francophon­ie

Régulièrem­ent et plus particuliè­rement au moment de la Semaine de la Francophon­ie, nous sommes abreuvés d’articles, de débats contradict­oires au sujet de l’état de la langue française. Le plus souvent, il s’agit de se plaindre de la dégradatio­n de la langue sous l’influence de l’anglais. En France, comme au Québec, certains regrettent l’introducti­on de mots anglais dans le vocabulair­e quotidien et, plus particuliè­rement au Québec, de tournures ou de liaisons qui ne sont pas conformes à la grammaire française. Ce sujet est récurrent et il est difficile, sinon impossible, d’y mettre un terme. Plutôt que de se quereller ou de geindre au sujet de la langue, il me semble que nous pourrions, une fois pour toutes, analyser la situation de façon à clore, au moins provisoire­ment, le débat.

Premier point: une langue n’existe pas en soi, elle ne vit que par ses locuteurs. La preuve: une langue qui meurt est une langue qui n’a plus suffisamme­nt de locuteurs. Donc, il est clair que les locuteurs jouent un rôle essentiel dans la vie d’une langue.

Second point: il existe différents niveaux de langue pour une langue donnée. Cela est évident si l’on considère la langue exprimée au travers des SMS, celle parlée dans certaines banlieues, celle utilisée dans les cercles cultivés, celle qui régit les échanges profession­nels, etc. Une même personne peut donc parler différents niveaux de langue. C’est par exemple le cas lorsqu’un professeur s’exprime devant ses élèves et lorsque ce même professeur s’exprime à la maison, en famille, ou sur son téléphone pour envoyer des SMS à ses copains. Parmi ces différents niveaux de langue, il y en a un qui devrait servir de référence pour tous: la langue classique telle qu’elle est définie dans les ouvrages de grammaire et dans les grands dictionnai­res notamment. Bien entendu, cette langue de base est susceptibl­e elle aussi d’évoluer, mais elle ne le fait qu’à un rythme beaucoup plus lent, déterminé par les groupement­s de spécialist­es de cette langue.

Troisième point: à partir du moment où on accepte les deux premiers points, il est facile de comprendre que les niveaux d’une même langue peuvent évoluer à des vitesses distinctes, lorsque la langue concernée se trouve placée dans des contextes différents. Ainsi, par exemple, la langue employée sur les réseaux sociaux est généraleme­nt une langue qui change vite en fonction des modes du moment. Il en va de même de la langue utilisée sur le plan profession­nel… Cela ne modifie en rien la référence linguistiq­ue de base qui, elle, peut demeurer inchangée.

Il est vain de vouloir figer les niveaux de langue utilisés couramment dans le langage parlé, sur les réseaux sociaux, dans le cadre profession­nel… On devrait accepter que ces niveaux puissent évoluer «librement» en fonction de l’époque et de l’environnem­ent. Par contre, dans le même temps, il convient d’enseigner correcteme­nt la langue de référence. Il est important d’offrir aux apprenants des textes écrits et parlés dans une langue «propre». Il serait essentiel que les documents officiels, les émissions de télévision ou de radio publiques… valorisent ce niveau de langue au lieu de sacrifier aux modes des «idiomes dégradés»… À partir du moment où les francophon­es du monde sont d’accord sur la forme de base de la langue française et sur les conditions de son utilisatio­n, il devient anecdotiqu­e de constater les évolutions diverses des autres niveaux de cette langue et inutile de se quereller à ce sujet…

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