Le Devoir

La Caisse peut-elle vendre le REM ?

- FRÉDÉRIC LAPOINTE Ex-président de la Ligue d’action civique et conseiller en évaluation à l’Université de Montréal

Nous sommes plusieurs à avoir accueilli le projet de Réseau express métropolit­ain (REM) de la CDPQ avec espoir: enfin, ça bouge à Montréal ! Mais, depuis lors, les révélation­s inquiétant­es s’accumulent sur les avantages consentis à la Caisse: la ligne de train de banlieue Deux-Montagnes est cédée, il y a monopole sur le tunnel du mont Royal, exigence de non-concurrenc­e et de rabattemen­t obligatoir­e pendant 99 ans sur la Rive-Sud, etc.

La révélation la plus inquiétant­e n’a pas été publicisée encore: la Caisse va vendre le REM, rapidement selon nous. Plusieurs signes pointent dans cette direction.

D’abord, notons que, pour que son REM soit rentable, la toute-puissante Caisse n’a pas besoin de monopoles ni de contrats à très long terme. Ce qu’elle ne pourrait obtenir elle-même d’une ville ou d’une société de transport, le gouverneme­nt du Québec a l’intérêt et le pouvoir de le lui accorder. Mais en fait, la Caisse a besoin de ces garanties en béton pour le futur acquéreur du REM: meilleures sont les garanties, plus élevé sera le prix obtenu par la Caisse au moment de la vente.

Ensuite, la vente est explicitem­ent prévue par la loi, et surtout, la transmissi­on des avantages au futur acquéreur est protégée. La Loi sur les transports modifiée en 2015 est claire là-dessus (nous soulignons): «88.13. Les modalités et conditions relatives à l’exploitati­on de l’infrastruc­ture de transport collectif stipulées dans une entente conclue en vertu de l’article 88.10 lient tout acquéreur subséquent. »

Et la Loi sur la fiscalité municipale, qui a aussi été modifiée en 2015, protège le futur acquéreur contre les taxes municipale­s (nous soulignons): «68.0.1. Ne sont pas portées au rôle les infrastruc­tures publiques qui sont visées par le règlement pris en applicatio­n du paragraphe 12.1° du premier alinéa de l’article 262, en quelques mains qu’elles se trouvent. Il en est de même des terrains qui constituen­t l’assiette de telles infrastruc­tures. »

Les terrains hors taxes obtenus pour le REM seront vendus, mais pas immédiatem­ent (Loi sur les transports): «88.12. La Caisse de dépôt et placement du Québec ne peut céder en tout ou en partie ses droits, titres et intérêts dans les terrains constituan­t l’assiette d’une infrastruc­ture de transport collectif visée à l’article 88.10 avant la fin des travaux de constructi­on.»

Le parfait promoteur

Si le promoteur du projet avait été un fonds souverain chinois, norvégien ou arabe, ou encore une société de transport public française, est-ce que la population accepterai­t toutes les concession­s consenties? Non! Mais la Caisse, oui. La Caisse, c’est nous, nous avons le sentiment de la contrôler, qu’elle ne peut agir que dans notre intérêt.

La Caisse est ainsi le parfait promoteur, le parfait « middleman ». Toutefois, elle n’est pas le parfait opérateur d’un point de vue strictemen­t financier. Elle est sensible à sa cote auprès de la population. Les effets du REM sur l’augmentati­on des titres de transport en commun, ou la qualité du service offert, expose la Caisse à des problèmes de relations publiques. À un conflit de travail sérieux encore davantage. Un futur acquéreur n’aura pas ces scrupules et, rassuré par les lois et les contrats en béton, il pourrait même augmenter la rentabilit­é au détriment des intérêts des Québécois.

Il faut maintenant remettre en question le REM à la lumière de sa vente prochaine. Par exemple, la Caisse, propriétai­re à 51% du projet, bénéficie par entente avec les gouverneme­nts d’un rendement prioritair­e de 8 % sur ses fonds investis. Jusqu’à ce que la Caisse touche ses centaines de millions annuelleme­nt, les gouverneme­nts n’obtiennent rien pour leur participat­ion. Il s’agit d’un rendement très appréciabl­e dans l’environnem­ent économique actuel. Le futur acquéreur majoritair­e conservera­t-il son rendement prioritair­e de 8%? Pourra-t-il augmenter unilatéral­ement sa participat­ion dans le REM, diluer la part des gouverneme­nts et augmenter ainsi son capital sujet à un rendement prioritair­e de 8%? Sommes-nous en face d’une privatisat­ion aux conditions rêvées? Quels sont les risques en matière de corruption, ou pour l’intérêt national, posés par cette prochaine vente aux enchères ?

Observons que le gouverneme­nt libéral n’a posé aucun obstacle législatif ou contractue­l à la vente prochaine du REM. Il n’est probableme­nt pas trop tard pour bien faire.

Qu’en dirait Jacques Parizeau? La Caisse a été fondée en 1965 pour qu’on s’affranchis­se des effets pervers de notre dépendance aux capitaux étrangers. Qu’est-ce qu’une Caisse qui nous échappe, qui sacrifie le travailleu­r au profit de l’épargnant, qui sert de cheval de Troie pour nous déposséder de nos services publics? Il est peut-être temps qu’un nouveau gouverneme­nt ramène la Caisse à la raison.

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Michael Sabia, p.-d.g. de la Caisse de dépôt

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