Le Devoir

Un premier album pour la sensation rap Cardi B

La sensation hip-hop de l’heure, Cardi B, lance son premier album vendredi

- PHILIPPE RENAUD Collaborat­eur

«Est-elle une strip-teaseuse, une rappeuse ou une chanteuse?» balance Cardi B sur son plus récent extrait, Drip. Réponse : un peu de tout ça, et bien plus encore. La jeune musicienne lance aujourd’hui Invasion of Privacy, l’album hip-hop le plus attendu de la saison, ce qui s’avère déjà un exploit sur cette scène à dominance masculine. Après le succès mondial du titre Bodak Yellow, la native du Bronx prouve que sa carrière n’est pas qu’un feu de paille: son énorme talent de rappeuse, son discours sans fard et son attachante authentici­té lui permettent d’être à la fois un modèle de persévéran­ce et un porte-voix atypique du mouvement #MeToo.

À quoi se mesure l’influence d’une artiste? Lorsque Cardi B a dévoilé sur son compte Instagram — qui attire plus de vingt millions d’abonnés — la pochette de son premier album officiel, CNN en a fait une manchette. Plus tôt encore cette semaine, le magasine Esquire titrait «Ce sera l’année de Cardi B (encore) », référant au titre d’un article du Rolling Stone autant qu’au succès internatio­nal de Bodak Yellow, la chanson la plus populaire de 2017. Il s’agissait alors de la première chanson d’une MC à atteindre le sommet du Billboard Hot 100 durant trois semaines consécutiv­es, et la première chanson au numéro 1 pour une rappeuse en solo depuis Doo-wop de Lauryn Hill en 1998. Récemment, le New York Times Magazine dévoilait un palmarès des « vingt-cinq chansons qui définissen­t l’avenir de la musique » ; l’immense et défiante Bodak Yellow arrivait en première position.

Ascension

Impression­nant pour une artiste inconnue du grand public il y a à peine un an. Née Belcalis Almanzar de parents aux origines dominicain­e et trinidadie­nne, des racines qui marquent son accent unique et ses maniérisme­s de langage, Cardi B a fait ses débuts musicaux en 2015 en collaboran­t avec le DJ jamaïcain Shaggy sur le remix de son succès Boom Boom.

Sur le nouvel extrait Be Careful, ce sont les sonorités de la langue espagnole qui se distinguen­t, alors que sur la bombe trap Bartier Cardi, la rappeuse hachure les phonèmes avec une admirable précision. Comme à propos de Nicki Minaj quelques années plus tôt, on peut bien discourir sur ses formes voluptueus­es ou la couleur de sa manucure, mais on a surtout là une acrobate du verbe capable de rendre la monnaie à n’importe quel autre rappeur en vogue.

À la suite de la sortie de son premier mixtape, Gangsta Bitch Music Vol.1 en 2016, Atlantic s’est empressé de lui offrir un contrat. La maison de disque a ensuite distribué le second volume de sa série de mixtapes et c’est elle qui dévoile aujourd’hui les 13 chansons — réalisées par les producteur­s de l’heure avec lesquels collaboren­t notamment Migos et 21 Savage — d’Invasion of Privacy.

D’Instagram à Fallon

Un exploit en soi pour la jeune artiste de 25 ans qui a surmonté les embûches pour enfin trôner au sommet du rap. Issue d’un milieu modeste, elle quitte le foyer à 18 ans et abandonne ses études pour travailler et subvenir à ses besoins. D’abord dans une épicerie, puis dans un bar de danseuses nues — plus payant, estime-telle. L’argent économisé lui permettra de retourner un temps à l’école.

L’expérience raffermira son discours jusque dans les textes de ses chansons, comme elle l’explique dans un entretien avec Le Monde paru en février: «J’ai été strip-teaseuse, je sais ce qu’un homme est capable de faire pour se rincer l’oeil. Je crois avoir entendu tellement de saloperies que je ne peux plus être choquée. Pour moi, le féminisme, c’est être en mesure de pouvoir faire la même chose qu’un homme, et mieux encore. Je me sens féministe car j’estime avoir les mêmes droits. L’argent qu’un homme gagne, je le gagne. Je m’occupe de mon foyer, je subviens à mes besoins. Le sexe, c’est de l’argent, mais j’estime que je n’ai pas à coucher pour obtenir ce que je veux.» Au magazine Cosmopolit­ain (qui lui consacra sa une), elle déplorait que le mouvement #MeToo en ait exclu certaines, nommément les «video vixens » — ces figurantes en tenues sexy devenues un cliché du clip de rap, elles aussi victimes de violences sexuelles.

C’est ce genre de propos francs, doublé de sa personnali­té colorée, qui en a fait l’un des personnage­s médiatique­s les plus captivants aux États-Unis. Son entrevue accordée en décembre dernier au Tonight Show Starring Jimmy Fallon devint virale (plus 16 millions de visionneme­nts) et fit rayonner son image au-delà du cercle des amateurs de rap; elle sera d’ailleurs la toute première «coanimatri­ce», toujours aux côtés de Fallon, de l’histoire de l’émission du réseau NBC lundi.

Samedi soir, elle pourrait fracasser de nouveaux records d’audience pour l’émission Saturday Night Live, qui en a fait l’invitée musicale de sa nouvelle édition, animée par l’acteur Chadwick Boseman, le visage de Black Panther. Une tournée mondiale serait dans les plans pour l’automne, en première partie de Bruno Mars (elle prête sa voix au remix du succès Finesse de ce dernier). Billboard a confirmé qu’elle travaille à son premier rôle au cinéma, un projet encore secret. L’année 2018 pourrait effectivem­ent s’annoncer être encore celle de Cardi B.

«J’ai été strip-teaseuse, je sais ce qu’un homme est capable de faire pour se rincer l’oeil. Je crois avoir entendu tellement de saloperies que je ne peux plus être choquée. Cardi B

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OMAR VEGA INVISION/ASSOCIATED PRESS La jeune artiste de 25 ans originaire du Bronx était encore à peine connue du public il y a un an. Cardi B a surmonté les embûches pour aujourd’hui trôner au sommet du rap.

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