Le Devoir

Les raisins de la passion

Grand cru suit le parcours en Bourgogne d’un vigneron lavallois

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur

GRAND CRU

1/2 Documentai­re de David Eng. Québec, 2018, 80 minutes.

Beaucoup de Français sont encore sous le choc: le meilleur camembert serait fabriqué au Québec, une consécrati­on décernée lors du dernier World Championsh­ip Cheese Contest. Alors, vous pouvez imaginer leurs têtes lorsqu’ils découvrent qu’un Québécois débarqué en Bourgogne au milieu des années 1980 fabrique non seulement du vin, mais du vin parmi les meilleurs, sans compter que l’on réclame son expertise d’aussi loin qu’en Australie… et en Ontario!

Ce vigneron pas comme les autres se nomme Pascal Marchand, lui qui se décrivait comme « aspirant poète » avant d’aller faire les vendanges en 1983, et d’y découvrir sa passion pour le vin, comme d’autres découvrent leur vocation religieuse. Il y a d’ailleurs une grande dévotion dans la manière dont il parle de ses fabuleux nectars, et surtout dans la manière dont il les concocte, dont le Musigny — mais sortez vos billets verts pour en acquérir une bouteille. Car ces vins sont non seulement élaborés avec amour, mais selon de vieilles techniques paysannes, biodynamiq­ues: de quoi défriser les tenants du progrès à tout prix, et des pesticides à tous les vents.

C’est un peu tout cela qui a fasciné le documentar­iste David Eng en s’attardant, pendant une année, au quotidien de Pascal Marchand. Dans Grand cru, il relate d’abord le parcours étonnant de cet ovni dans l’une des régions viticoles les plus célèbres du monde, et sa relative facilité à s’y intégrer, lui le premier étudiant étranger de l’École de viticultur­e de Beaune. Selon Marchand, ce maillage fut possible à une époque où les propriétai­res de vignobles passaient le relais à leurs enfants, un peu moins rigides par rapport aux diktats d’autrefois. Une atmosphère qui a ainsi permis au plus lavallois des Bourguigno­ns d’y faire sa place, et d’imposer peu à peu des méthodes en réelle harmonie avec la nature. Et si cela signifie labourer la terre avec un cheval plutôt qu’un tracteur…

Cette façon unique de chérir les raisins, de les préserver des méfaits des produits chimiques, autant pour la santé humaine que pour les sols, constitue un heureux prétexte pour découvrir ce qui anime Pascal Marchand. Mais audelà de l’apologie, camouflait-il quelques drames larmoyants ou un quelconque secret inavouable ? Grand cru se dirigeait allégremen­t vers le portrait d’entreprise, mais il a fallu que le climat s’en mêle pour modifier une trajectoir­e qui s’annonçait lisse comme une émission de cuisine.

Les changement­s climatique­s bouleverse­nt tout, partout, et les vignes n’y échappent pas. Déjà réputée pour son climat imprévisib­le, la Bourgogne doit composer avec des conditions météo extrêmes, et dont la rapidité s’avère parfois foudroyant­e: gel (à la fin du mois d’avril !), grêle, pluie abondante, sécheresse, le cocktail météo s’avère parfois plus imbuvable que de la piquette. En 2016, Marchand a affronté tout cela à la fois, une annus horribilis ayant légèrement fissuré son assurance coutumière. Ce qui explique sans doute un montage parfois frénétique, le protagonis­te se révélant souvent laconique, qui permet tout de même au cinéaste d’observer le désarroi du vigneron, et de toute son équipe.

Or, Marchand traverse cette période houleuse la tête haute, sans grands discours lénifiants, mais porté par un respect infini pour son métier, ses précieuses récoltes, et les huit acres qui les génèrent, chacun valant son pesant d’or. Et parfois son lot de tracas.

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