Les Cahiers du journalisme renaissent
La nouvelle mouture de la publication veut rapprocher les professionnels et les chercheurs
Àun moment où plusieurs estiment le quatrième pouvoir à la croisée des chemins, la publication Les Cahiers du journalisme renaît de ses cendres avec une formule qui veut se faire rapprocher davantage les chercheurs et les professionnels du métier.
Conçue en 1995 et publiée pour la première fois l’année suivante — avec un article de Pierre Bourdieu en ouverture —, Les Cahiers du journalisme est une publication spécialisée annuelle qui a roulé sa bosse jusqu’en 2014. Après quelques années de jachère, elle renaît maintenant de ses cendres avec une approche différente et le désir de publier deux fois l’an.
L’éditeur de la nouvelle version des Cahiers, le professeur à l’Université d’Ottawa Bertrand Labasse, estime que par le passé, la publication n’arrivait pas à faire dialoguer universitaires et gens de terrain.
« Les essais de journalistes ne respectaient souvent pas les caractères épistémologiques pour qu’on les considère comme valides dans la sphère universitaire. Et de l’autre coté, les articles des chercheurs paraissaient horriblement abstraits et jargonnants pour les journalistes, même quand ils étaient très bons. »
Il fallait donc trouver «comment réveiller ce journal», résume M. Labasse, qui a passé une vingtaine d’années dans le journalisme avant de transiter vers la recherche universitaire.
Cette version 2.0 des Cahiers du journalisme, soutenue par l’École supérieure de journalisme de Lille, l’Université d’Ottawa et l’Université Laval, proposera deux catégories de textes: une partie Débats et une partie Recherches. Dans la première section, précise M. Labasse, « on sera moins contraint par les règles de la preuve scientifique ».
«Il ne faut pas s’imaginer que ce sont deux parcs à bestiaux [distincts], illustre l’éditeur. Il y a des chercheurs qui vont s’exprimer beaucoup plus librement dans la partie Débats, et j’espère qu’il y aura des journalistes qui feront des papiers dans la partie Recherche.»
Mal se connaître
Avant de s’adresser au grand public, Bertrand Labasse veut surtout que les reporters et les patrons de presse soient mieux informés sur leur propre profession. Et il y a beaucoup de chemin à faire, croit-il.
«Je n’ai jamais vu un secteur d’activités qui connaisse aussi mal scientifiquement les tenants et aboutissants de son métier que les journalistes et les éditeurs. Et à notre époque, ça devient grave. »
Un autre enjeu de la réflexion autour du journalisme, estime M. Labasse, c’est que les débats avancent très peu, et s’empilent davantage qu’ils n’avancent. Quant aux connaissances des professionnels du journalisme, elles n’ont pas beaucoup progressé non plus, ajoute le professeur.
« J’ai fait une étude de corpus sur les manuels de journalisme, et ce qu’on y trouve, pour la plupart des choses, vient de la charnière du XIXe et du XXe siècle. Vous imaginez si un médecin vous soignait avec les connaissances qu’on avait en 1920 ? Même votre garagiste, ses connaissances ont incroyablement progressé. »
Bertrand Labasse croit aussi que la réflexion autour du journalisme est d’autant plus importante aujourd’hui que l’offre d’informations en tout genre sur le Web tend à créer de la confusion sur ce qui est de sérieux ou pas. La profession doit beaucoup mieux se définir, estime-t-il, et cela doit se faire à travers des réflexions collectives.
«Très longtemps, le journalisme n’a pas eu tellement besoin de ça, il avait ce que Bourdieu appelait le monopole de la diffusion de l’information. Aujourd’hui, la profession ne peut plus faire l’économie de cette définition de ses moyens et de son offre. Si on ne peut pas dire que “ça”, c’est du journalisme, on se confond parmi les blogues, les fournisseurs de contenu, les putes à clics. Le journalisme de demain sera vraiment un journalisme professionnel.»
Les Cahiers du journalisme sera publiée à partir du 8 avril en version imprimée payante, mais aussi en version numérique gratuite. Le plan de la nouvelle équipe est de publier deux fois par année, mais elle se laissera le droit de varier la fréquence en fonction de la participation des scribes et des chercheurs.