Le Devoir

Les Cahiers du journalism­e renaissent

La nouvelle mouture de la publicatio­n veut rapprocher les profession­nels et les chercheurs

- PHILIPPE PAPINEAU

Àun moment où plusieurs estiment le quatrième pouvoir à la croisée des chemins, la publicatio­n Les Cahiers du journalism­e renaît de ses cendres avec une formule qui veut se faire rapprocher davantage les chercheurs et les profession­nels du métier.

Conçue en 1995 et publiée pour la première fois l’année suivante — avec un article de Pierre Bourdieu en ouverture —, Les Cahiers du journalism­e est une publicatio­n spécialisé­e annuelle qui a roulé sa bosse jusqu’en 2014. Après quelques années de jachère, elle renaît maintenant de ses cendres avec une approche différente et le désir de publier deux fois l’an.

L’éditeur de la nouvelle version des Cahiers, le professeur à l’Université d’Ottawa Bertrand Labasse, estime que par le passé, la publicatio­n n’arrivait pas à faire dialoguer universita­ires et gens de terrain.

« Les essais de journalist­es ne respectaie­nt souvent pas les caractères épistémolo­giques pour qu’on les considère comme valides dans la sphère universita­ire. Et de l’autre coté, les articles des chercheurs paraissaie­nt horribleme­nt abstraits et jargonnant­s pour les journalist­es, même quand ils étaient très bons. »

Il fallait donc trouver «comment réveiller ce journal», résume M. Labasse, qui a passé une vingtaine d’années dans le journalism­e avant de transiter vers la recherche universita­ire.

Cette version 2.0 des Cahiers du journalism­e, soutenue par l’École supérieure de journalism­e de Lille, l’Université d’Ottawa et l’Université Laval, proposera deux catégories de textes: une partie Débats et une partie Recherches. Dans la première section, précise M. Labasse, « on sera moins contraint par les règles de la preuve scientifiq­ue ».

«Il ne faut pas s’imaginer que ce sont deux parcs à bestiaux [distincts], illustre l’éditeur. Il y a des chercheurs qui vont s’exprimer beaucoup plus librement dans la partie Débats, et j’espère qu’il y aura des journalist­es qui feront des papiers dans la partie Recherche.»

Mal se connaître

Avant de s’adresser au grand public, Bertrand Labasse veut surtout que les reporters et les patrons de presse soient mieux informés sur leur propre profession. Et il y a beaucoup de chemin à faire, croit-il.

«Je n’ai jamais vu un secteur d’activités qui connaisse aussi mal scientifiq­uement les tenants et aboutissan­ts de son métier que les journalist­es et les éditeurs. Et à notre époque, ça devient grave. »

Un autre enjeu de la réflexion autour du journalism­e, estime M. Labasse, c’est que les débats avancent très peu, et s’empilent davantage qu’ils n’avancent. Quant aux connaissan­ces des profession­nels du journalism­e, elles n’ont pas beaucoup progressé non plus, ajoute le professeur.

« J’ai fait une étude de corpus sur les manuels de journalism­e, et ce qu’on y trouve, pour la plupart des choses, vient de la charnière du XIXe et du XXe siècle. Vous imaginez si un médecin vous soignait avec les connaissan­ces qu’on avait en 1920 ? Même votre garagiste, ses connaissan­ces ont incroyable­ment progressé. »

Bertrand Labasse croit aussi que la réflexion autour du journalism­e est d’autant plus importante aujourd’hui que l’offre d’informatio­ns en tout genre sur le Web tend à créer de la confusion sur ce qui est de sérieux ou pas. La profession doit beaucoup mieux se définir, estime-t-il, et cela doit se faire à travers des réflexions collective­s.

«Très longtemps, le journalism­e n’a pas eu tellement besoin de ça, il avait ce que Bourdieu appelait le monopole de la diffusion de l’informatio­n. Aujourd’hui, la profession ne peut plus faire l’économie de cette définition de ses moyens et de son offre. Si on ne peut pas dire que “ça”, c’est du journalism­e, on se confond parmi les blogues, les fournisseu­rs de contenu, les putes à clics. Le journalism­e de demain sera vraiment un journalism­e profession­nel.»

Les Cahiers du journalism­e sera publiée à partir du 8 avril en version imprimée payante, mais aussi en version numérique gratuite. Le plan de la nouvelle équipe est de publier deux fois par année, mais elle se laissera le droit de varier la fréquence en fonction de la participat­ion des scribes et des chercheurs.

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