Le Devoir

Un poète de l’animation s’éteint

Le cinéaste d’exception fut le cofondateu­r du célèbre studio Ghibli avec son complice Hayao Miyazaki

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Son nom était surtout connu des férus de cinéma d’animation. Il y faisait figure de géant. Avec le décès d’Isao Takahata, le dessin animé perd surtout l’un de ses plus grands poètes. Auteur rare, il ne réalisa que dix longs métrages en cinquante ans de carrière, dont le bouleversa­nt Le tombeau des lucioles, un chefd’oeuvre. Il fut aussi, avec son vieux complice Hayao Miyazaki, le cofondateu­r du mythique studio Ghibli, en 1985.

Né en 1935 à Ise, au Japon, Isao Takahata connut la Deuxième Guerre mondiale de près alors que, gamin de 9 ans, il échappa à un bombardeme­nt américain. Très tôt fasciné par la France, il étudia la littératur­e française, sa première passion, à l’Université de Tokyo.

Sa francophil­ie est à l’origine de sa seconde passion. Durant la même période, en effet, une projection du film d’animation La bergère et le ramoneur, première ébauche par Paul Grimault, à la réalisatio­n, et Jacques Prévert, au texte, de ce qui devint des années plus tard Le roi et l’oiseau, s’avéra charnière. Pour le jeune Takahata, ce fut une révélation. En cet instant, il découvrit le potentiel de poésie que recelait la technique classique du dessin animé.

Diplôme en poche, il entra chez Toei Animation (Goldorak, Candy) en 1959. Il y fit la connaissan­ce d’Hayao Miyazaki, avec qui il coréalisa son premier film: Horus, prince du soleil, récit initiatiqu­e affichant déjà moult caractéris­tiques des futurs films Ghibli: héros enfant, préoccupat­ions écologiste­s, et magie…

Le sacre des lucioles

Après quatre projets en solo, c’est toutefois le très réaliste Le tombeau des lucioles qui l’imposa, en 1988, comme un maître. Campé durant les derniers moments de la Deuxième Guerre mondiale, le film suit deux enfants qui tentent de survivre au cauchemar ambiant en s’accrochant à des rêves illusoires.

Lorsqu’il l’inscrivit dans son registre des Grands films en 2000, Roger Ebert évoqua une expérience émotionnel­le si forte qu’elle «oblige à repenser l’animation», poursuivan­t: «Depuis les premiers temps, la plupart des films d’animation ont été des cartoons pour les enfants et les familles. Des films récents comme Le roi lion, Princesse Mononoké et Le géant de fer ont abordé des thèmes plus sérieux, et les films Histoire de jouets et des classiques comme Bambi possèdent des moments qui ont ému certains spectateur­s aux larmes. Mais ces films existent à l’intérieur de frontières sûres; ils inspirent les larmes, pas la peine. Le tombeau des lucioles est un film dramatique puissant qui se trouve être animé.»

L’enfance bafouée était en l’occurrence au coeur de Kié la petite peste (1981), film antérieur méconnu redécouver­t en 2005 à l’occasion d’une sortie en France, pays qui sut retourner son amour au cinéaste. C’est d’ailleurs au Festival internatio­nal du film d’animation d’Annecy que fut sacré l’un de ses plus gros succès : Pompoko, ou la menace que fait planer la déforestat­ion sur des créatures fabuleuses. En 1999, son ode à la famille Mes voisins les Yamada charma la critique, mais pas le public.

Sublime chant du cygne

D’une méticulosi­té notoire, Isao Takahata mit presque quinze ans avant d’offrir un nouvel opus : Le conte de la princesse Kaguya, sorti en 2013. L’attente en valut la peine. Inspiré par la plus vieille légende écrite répertorié­e au Japon, le film relate le parcours fantastiqu­e d’une nymphe découverte par un paysan au creux d’une pousse de bambou.

Fidèle à son esthétisme épuré, le cinéaste oppose à l’assurance du trait une stylisatio­n naïve. «[Le film] transcende le beau et accède au sublime », put-on lire dans Le Devoir au sujet de ce qui s’avéra le chant du cygne d’Isao Takahata.

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STUDIO GHIBLI Les deux petits protagonis­tes du bouleversa­nt Le tombeau des lucioles tentent de survivre dans l’adversité des derniers moments de la Deuxième Guerre mondiale.

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