Le Devoir

Le conflit ne fait que commencer

- ÉRIC DESROSIERS

La tension entre les États-Unis et la Chine a monté d’un cran sur le front commercial. Préparez-vous le coeur, ce genre d’événement n’a pas fini de se répéter.

Comme tout le monde le craignait, le gouverneme­nt Trump est passé de la parole aux actes, cette semaine, en annonçant l’imposition prochaine de tarifs douaniers contre des importatio­ns chinoises d’un montant total estimé à 50 milliards $US. Comme elle l’avait fait quelques jours auparavant après l’annonce d’autres sanctions américaine­s, contre ses exportatio­ns d’acier et d’aluminium celles-là, la Chine a immédiatem­ent répliqué en dévoilant sa propre liste de produits américains passibles de représaill­es tarifaires équivalent­es, grossissan­t un peu plus encore la rumeur de guerre commercial­e ouverte et totale entre les deux principale­s économies de la planète.

Les premiers coups de feu de cette guerre n’ont pas encore été tirés, ont fait remarquer des proches du président américain, dont son tout nouveau conseiller économique, Larry Kudlow.

On en est encore seulement à masser des troupes aux frontières. Les sanctions annoncées doivent encore faire l’objet de consultati­ons et d’examens qui laissent amplement le temps aux deux parties de poursuivre leurs négociatio­ns en cours depuis des mois déjà et de trouver un compromis. «Non, je ne vois pas cela comme une guerre commercial­e, a dit le conseiller à Reuters. C’est plus une négociatio­n où l’on s’assure d’actionner tous les leviers. »

Bon, se sont dits les marchés financiers. Donald Trump nous refait encore le coup des menaces, suivies de négociatio­ns, puis d’une entente, après quoi il se vantera de victoires — réelles ou imaginaire­s — qu’il aura arrachées, et après quoi il pourra passer au prochain dossier et refaire son numéro. Dans le seul domaine commercial, on l’a vu appliquer cette recette contre la Corée du Sud ainsi que contre ses voisins et partenaire­s de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Aujourd’hui, c’est le tour de la Chine. Demain, ça pourrait être l’Europe, ou l’Organisati­on mondiale du commerce.

Parlant de l’OMC, on n’est pas sans remarquer comment, dans leur chicane, nos deux géants ont superbemen­t ignoré la principale autorité de l’ordre commercial internatio­nal. On sait que Donald Trump n’a pas beaucoup d’affection pour les institutio­ns multilatér­ales censées borner la souveraine­té américaine. Son gouverneme­nt ne s’est d’ailleurs pas beaucoup forcé pour donner à sa nouvelle campagne contre les Chinois un semblant de conformité avec les règles de l’organisati­on basée à Genève. La Chine, quant à elle, s’est seulement rappelée jeudi qu’elle pouvait en appeler à l’OMC pour la défendre contre les ÉtatsUnis si elle s’estime injustemen­t traitée, mais semble oublier qu’elle ne peut pas, en principe, exercer de représaill­es avant que le tribunal de l’organisati­on ne lui en donne le droit.

De partenaire à rivale

La principale exigence de la Maison-Blanche à l’égard de la Chine est qu’elle réduise «immédiatem­ent» de 100 milliards son surplus commercial de 375 milliards avec les États-Unis. Les Américains, comme bien d’autres, voudraient aussi que Pékin protège mieux la propriété intellectu­elle et mette fin à sa politique de transferts technologi­ques forcés en échange de l’accès au marché chinois.

Parmi les produits chinois visés par les sanctions commercial­es américaine­s, on retrouve notamment des robots industriel­s, l’aéronautiq­ue, les biotechs, les véhicules électrique­s et des composants électroniq­ues. Ce choix montre bien qu’on n’a pas seulement en tête la réduction à court terme du déficit commercial. On cible aussi, manifestem­ent, les ambitions du régime chinois d’assurer à son économie une transition du rôle de fabricant des ordinateur­s, téléphones intelligen­ts, automobile­s, avions et autres médicament­s conçus aux États-Unis, en Allemagne ou au Japon à chef de file à part entière en technologi­e numérique, en intelligen­ce artificiel­le, en santé, en transport ou encore en technologi­es vertes, et ce, en fonction de plans qui s’étendent sur 10 ans, 25 ans, et même jusqu’en 2049, centième anniversai­re de la révolution communiste chinoise.

Pour aider cette transforma­tion extrême, la Chine souhaite acquérir — apparemmen­t par tous les moyens — l’expertise et les précieux droits de propriété intellectu­elle de compagnies occidental­es que leurs gouverneme­nts sont de plus en plus réticents à partager avec le géant asiatique, observait l’expert en géopolitiq­ue de la Banque Nationale Angelo Katsoras, dans une analyse cette semaine. Outre les critiques contre Pékin en matière de respect de la propriété intellectu­elle, ces gouverneme­nts évoquent de plus en plus souvent la protection de la sécurité nationale pour bloquer l’acquisitio­n d’entreprise­s par des compagnies chinoises. Le dernier exemple en date est ce veto opposé par la Maison-Blanche à l’achat du fabricant américain de microproce­sseurs Qualcomm par son concurrent Broadcom, de Singapour, pour la rondelette somme de 117 milliards. Il y a cinq ans, Ottawa avait aussi su faire comprendre au fabricant d’ordinateur­s chinois Lenovo que le fabricant canadien de téléphones intelligen­ts BlackBerry n’était pas à prendre.

Parlant de l’OMC, on n’est pas sans remarquer comment nos deux géants ont superbemen­t ignoré la principale autorité de l’ordre commercial internatio­nal

La nouvelle normalité

En ce qui a trait au conflit qui a fait les manchettes cette semaine, The Economist rapportait jeudi qu’un compromis serait peut-être déjà en train de se dessiner entre Pékin et Washington, dans lequel la Chine accepterai­t de réduire ses barrières commercial­es à l’importatio­n d’autos américaine­s, d’acheter plus de semiconduc­teurs aux Américains et d’ouvrir un peu plus son secteur financier aux étrangers.

Mais «qu’un accord commercial soit conclu entre la Chine et les États-Unis ou non, des tensions commercial­es plus fortes entre les deux pays représente­ront la nouvelle normalité dans un avenir prévisible, prévient Angelo Katsoras. Les enjeux sont trop élevés. Au-delà de la question des déficits commerciau­x se profile une bataille pour déterminer lequel des deux pays contrôlera la prochaine génération de technologi­es de pointe et émergera comme une puissance mondiale dominante. »

 ?? NICHOLAS KAMM AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La principale exigence du gouverneme­nt de Donald Trump à l’égard de la Chine est qu’elle réduise «immédiatem­ent» de 100 milliards son surplus commercial de 375 milliards avec les États-Unis.
NICHOLAS KAMM AGENCE FRANCE-PRESSE La principale exigence du gouverneme­nt de Donald Trump à l’égard de la Chine est qu’elle réduise «immédiatem­ent» de 100 milliards son surplus commercial de 375 milliards avec les États-Unis.

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