Le Devoir

Le Québec pourrait miser sur deux vaccins concurrent­s

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

L e Comité sur l’immunisati­on du Québec (CIQ) recommande une approche inédite de vaccinatio­n contre les virus du papillome humain (VPH) qui permettrai­t à Québec de réaliser des économies importante­s.

Dans un avis publié mardi dernier, le CIQ recommande un «calendrier mixte» utilisant une dose de chacun de deux vaccins commercial­isés par des compagnies concurrent­es.

Les élèves de 4e année du primaire recevraien­t d’abord, à l’automne, une dose de Gardasil. C’est le vaccin de la compagnie Merck, actuelleme­nt administré en deux doses. Puis, au printemps, les jeunes recevraien­t une dose de Cervarix, lequel ne figure pas au calendrier de vaccinatio­n actuel, en remplaceme­nt de la deuxième dose de Gardasil.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) indique évaluer les suites à donner à cette recommanda­tion. S’il va de l’avant, le Québec deviendrai­t le premier à adopter cette approche dans le monde.

Le Cervarix, un vaccin commercial­isé par GlaxoSmith­Kline (GSK), a été autorisé par Santé Canada en 2010. Il induit une bonne immunité contre les souches 16 et 18 de VPH, responsabl­es de la majorité des cancers du col utérin.

Bémol: il est inefficace contre les condylomes, causés par des VPH d’autres types. Le Gardasil, lui, protège bien contre plusieurs VPH causant des condylomes.

Or, GSK a offert à Québec de fournir le Cervarix « à un coût qui est considérab­lement plus bas» que celui de son concurrent, détaille l’avis du CIQ. C’est dans ce contexte que le MSSS a demandé une analyse.

Le remplaceme­nt d’une des deux doses de Gardasil par une dose de Cervarix pourrait faire économiser 3 millions de dollars par cohorte de jeunes vaccinés, écrit le CIQ.

Les 130 000 doses de Gardasil administré­es annuelleme­nt au Québec coûtent environ 11 millions de dollars.

Comme le Gardasil protège contre les condylomes, ce que ne fait pas le Cervarix, le CIQ recommande de l’administre­r d’abord. Environ 3% des jeunes ne reçoivent pas de deuxième dose, pour des raisons diverses.

Les VPH sont des virus transmis sexuelleme­nt. Ils se propagent parfois en dépit de l’utilisatio­n du condom et demeurent parmi les infections transmises sexuelleme­nt les plus fréquentes.

Hors homologati­on

Un calendrier de vaccinatio­n « mixte » constitué des deux vaccins ne serait pas « en conformité avec les recommanda­tions des manufactur­iers de vaccins», reconnaît le CIQ, qui estime que les études disponible­s prouvent qu’une bonne immunité serait assurée.

De plus, le vaccin Cervarix n’est pas homologué pour un usage chez les garçons, qui sont vaccinés contre le VPH depuis 2016 au Québec. «Cependant, des données existantes indiquent que ce vaccin a le même profil de sécurité et d’immunogéni­cité chez les filles et chez les garçons», indique l’avis des experts.

«La réponse immunitair­e et la sécurité sont assurées», selon la Dre Chantal Sauvageau, membre du CIQ et médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Les études montrent que le calendrier mixte permet «une réponse immunitair­e plus forte contre les VPH de type 16 et 18 tout en assurant une protection contre les sept autres types de VPH inclus au vaccin Gardasil », indique l’avis.

La Dre Sauvageau explique que le calendrier mixte a été testé sur 300 jeunes Québécois, filles et garçons. La réponse immunitair­e était bonne. «Il y a vraiment un gain à donner les deux vaccins, explique-t-elle. L’un réveille la mémoire initiée par l’autre, il y a une synergie» qui dépasse la somme des effets de l’un et de l’autre.

Réticences possibles?

Ce calendrier mixte pourrait être difficile à faire adopter, reconnaît le CIQ, notamment en raison de la «promotion assez vigoureuse» faite auprès des vaccinateu­rs par les représenta­nts des compagnies pharmaceut­iques, à savoir que «plus d’antigènes et plus de doses amènent toujours une meilleure protection». «Ceci pourrait inquiéter les vaccinateu­rs et nuire à l’acceptabil­ité », reconnaît le CIQ.

Mais plus ne rime pas avec mieux en matière de vaccinatio­n, précise la Dre Sauvageau. Même que le CIQ a jonglé avec l’idée de proposer une seule dose de Gardasil, point.

«Nous en avons discuté, relate-t-elle. Mais nous aurions été un peu trop en avance. » Selon elle, les résultats de grandes études en cours risquent de mener à une telle recommanda­tion d’ici quelques années. Des études ont déjà démontré une bonne réponse immunitair­e après une seule dose de vaccin.

La Dre Marie-Hélène Mayrand est gynécologu­e et chercheuse, spécialisé­e dans le cancer du col utérin et le VPH. Elle a déjà participé aux travaux du CIQ par le passé, mais n’a pas été partie prenante du plus récent avis sur le vaccin contre les VPH. Elle souligne le caractère avant-gardiste de plusieurs des recommanda­tions faites au fil des ans. «Certains avis qui ont été controvers­és, par exemple ne donner que deux doses du vaccin contre les VPH plutôt que trois, sont maintenant appuyés par l’OMS et mis en place dans plusieurs pays », a-telle souligné au Devoir. «C’est un groupe qui est considéré comme parmi les meilleurs au monde », ajoute-t-elle.

S’appuyant sur les études réalisées après l’administra­tion de 270 millions de doses de ces vaccins dans le monde, l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) concluait en 2017 qu’«aucune associatio­n entre le vaccin anti-VPH et le syndrome de Guillain-Barré n’a été établie», ainsi qu’aucun lien causal avec d’autres événements rares.

L’OMS signalait par ailleurs que dans les pays où un programme de vaccinatio­n a été implanté, l’incidence des lésions précancére­uses du col utérin était en baisse chez les jeunes femmes.

Le vaccin contre les VPH est l’un de ceux que les parents hésitent le plus à autoriser pour leurs enfants. De 81% au début du programme en 2008, la couverture vaccinale n’était plus que de 75% en 2015-2016. Dans une étude publiée en 2017, l’INSPQ avait soumis plusieurs facteurs influençan­t la décision des parents, notamment l’impact négatif d’informatio­ns circulant sur Internet et les réseaux sociaux et les enjeux liés à l’administra­tion d’un vaccin contre une infection transmise sexuelleme­nt.

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