Le Devoir

Services publics «à visage découvert»: les règles d’applicatio­n promises par Québec se font attendre

- Correspond­ante parlementa­ire à Québec MARIE-MICHÈLE SIOUI

Le gouverneme­nt du Québec n’a pas interjeté appel d’une décision invalidant l’article charnière de sa loi sur la neutralité religieuse, pas plus qu’il n’a envoyé, six mois après son adoption, les lignes directrice­s qui pourraient permettre sa mise en applicatio­n.

Ni les commission­s scolaires, ni les services de transport, ni les université­s, ni les villes n’ont encore reçu les guides d’applicatio­n des accommodem­ents prévus dans cette loi, adoptée en octobre 2017. Ces lignes directrice­s doivent être envoyées au plus tard le 1er juillet.

Or, celles-ci sont «nécessaire­s à l’applicatio­n de la loi» et elles auraient dû être rendues publiques au moment même où la loi a pris effet, a statué la Cour supérieure en décembre, dans un jugement qui a suspendu l’article de la loi qui prévoit que les services publics soient donnés et reçus «à visage découvert».

Ce jugement fait grand cas de la décision du ministère de la Justice de surseoir aux dispositio­ns concernant les accommodem­ents religieux d’ici l’envoi de directives claires par la ministre Stéphanie Vallée.

«Il n’y a pas d’urgence à appliquer le projet de loi 62 sans qu’il entre pleinement en vigueur, avec ses dispositio­ns sur les accommodem­ents», a fait valoir le juge Babak Barin dans une décision rendue le 1er décembre.

À son avis, la non-applicatio­n des mesures sur les accommodem­ents raisonnabl­es apportait «assez d’ambiguïté pour que la loi crée de la confusion chez ceux qui doivent l’appliquer et dans le public en général ».

Devant le magistrat, les avocats du gouverneme­nt du Québec avaient fait valoir que l’absence de lignes directrice­s était «sans conséquenc­e», vu l’existence de la Charte des droits et libertés de la personne.

Étant donné le refus du juge de se rendre à leurs arguments, pourquoi n’ont-ils pas porté sa décision en appel?

« Si on n’a pas fait appel, c’est qu’on n’a pas fait appel. On n’a pas à le justifier», a martelé vendredi la chef de cabinet de la ministre Vallée, Nathalie Roberge.

Moins de trois mois

Dans le flou entourant l’applicatio­n de la loi sur la neutralité religieuse, Stéphanie Vallée s’était engagée à fournir des « lignes directrice­s claires » aux services de transport, université­s et autres organismes publics assujettis à la nouvelle loi d’ici le 1er juillet.

Sa chef de cabinet, Nathalie Roberge, a assuré vendredi que ce sera fait. «Elles seront envoyées dans les prochains mois. Les équipes sont à pied d’oeuvre», a-t-elle attesté.

«Au ministère de la Justice, on travaille toujours avec célérité et rigueur», a-t-elle ajouté, quand on lui a demandé pourquoi son ministère n’avait pas agi plus promptemen­t.

À quelques semaines de la fin de la législatur­e, le temps file. Une défaite libérale à l’élection d’octobre marquerait vraisembla­blement la fin de la loi sur la neutralité religieuse, puisque l’ensemble des partis d’opposition de l’Assemblée nationale s’est opposé à son adoption.

Le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire se sont tour à tour engagés à sabrer cette loi; tantôt pour la rendre conforme aux recommanda­tions de la commission Bouchard-Taylor, tantôt pour la remplacer par une charte de la laïcité.

C’est donc dire que la loi sur la neutralité religieuse pourrait être en applicatio­n pendant quelques semaines seulement.

Bouchard-Taylor

Dans la foulée des débats entourant le port de signes religieux chez les policiers, le premier ministre Philippe Couillard a déclaré jeudi qu’à son avis, la question des accommodem­ents «est close». «Il reste juste les guides d’applicatio­n des accommodem­ents », a-t-il néanmoins convenu.

À son avis, la position s’appuyant sur les conclusion­s du rapport Bouchard-Taylor — qui suggérait d’interdire le port de signes religieux ostensible­s chez les employés de l’État qui exercent des fonctions coercitive­s — « est à la limite de la légalité ».

«C’est du bruit, ça», a-t-il dit au micro du FM93. «Il ne peut pas le faire, légalement», a-t-il ajouté au sujet de son adversaire caquiste François Legault, qui s’appuie sur les conclusion­s de Bouchard-Taylor.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, s’était engagée à fournir des «lignes directrice­s claires» aux services de transport, université­s et autres organismes publics assujettis à la nouvelle loi d’ici le 1er juillet.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, s’était engagée à fournir des «lignes directrice­s claires» aux services de transport, université­s et autres organismes publics assujettis à la nouvelle loi d’ici le 1er juillet.

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