Pigistes : l’AJIQ s’entend puis s’embrouille avec Voir
L’accord de principe clôt pour les journalistes indépendants une action collective entamée en 1999
Après le règlement sur le fond, l’embrouille sur la forme. Presque 20 ans après le déploiement d’une action collective contre des éditeurs et publications pour s’assurer du respect des droits des pigistes, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) vient de clore le dernier cas encore actif avec le journal Voir. Mais l’annonce par l’AJIQ de l’entente de principe a soulevé un peu de grogne.
En fin d’après-midi vendredi, les quelques paragraphes du message de l’AJIQ avaient été retirés du site de l’association et de la plateforme de diffusion de communiqués Cision. Son titre,
« L’AJIQ remporte une victoire historique pour les droits des pigistes », aurait déplu à Voir, propriété du collectif Mishmash.
«L’angle était peut-être particulier, vu que l’entente n’est pas finalisée encore ni ratifiée par les tribunaux, a dit au Devoir le président de Mishmash, Éric Albert. Pour nous, c’est important d’avoir une entente avec l’AJIQ. C’est un dossier qui traîne depuis un certain temps, mais quand on parle d’une entente historique, eux le perçoivent comme ça, mais ce n’est pas matériel. »
Contrairement à ce que dit le président de l’AJIQ, Simon Van Vliet, Éric Albert précise que Voir n’a pas demandé le retrait du communiqué. Les deux parties feront probablement une sortie commune dans les prochains jours.
«C’était peut-être un peu précipité de notre part, convient Simon Van Vliet. On espère que ça ne remettra pas en cause la bonne relation qu’on a développée avec eux. Pour nous, c’était une excellente nouvelle pour tout le monde étant donné qu’on avait évité un procès. »
L’entente de principe annoncée vendredi par l’AJIQ, et ratifiée à l’unanimité mercredi en assemblée générale, a en effet permis d’éviter un procès qui devait se tenir du 5 au 12 avril.
20 ans plus tard
La longue discorde est née en 1999, alors que l’AJIQ avait entamé une poursuite de 30 millions de dollars au nom des travailleurs indépendants de l’information contre des publications de Gesca, de Transcontinental et de Rogers, ainsi que Voir et Le Devoir.
La lutte concerne la reconnaissance des droits d’auteur des journalistes pigistes. Plus précisément, des pigistes avaient travaillé pour ces publications, mais n’avaient pas reçu de droits d’auteur pour la reproduction dématérialisée de leurs articles ou de leurs photos. L’affaire a aussi impliqué CEDROM-SNi, qui se spécialise dans la veille et la redistribution de contenus médiatiques, notamment à travers sa plateforme Eureka.
À l’époque, ce sont des pigistes de Voir, jadis dirigé par Pierre Paquet et le rédacteur en chef Richard Martineau, qui avaient alerté l’AJIQ.
Au fil des dernières années, le regroupement de journalistes indépendants a déjà paraphé des ententes avec Rogers et Transcontinental (2014), avec Gesca (2010) et avec Le Devoir (2001).
Compromis
Depuis l’achat de Voir par le collectif Mishmash en 2015, les discussions entre les deux parties s’étaient beaucoup améliorées, dit Simon Van Vliet, de l’AJIQ, ajoutant que c’est surtout sur le montant des dommages moraux pour les anciens pigistes lésés que le tout achoppait. Actuellement, l’entente de principe prévoit un montant de 20 000 $ pour les dédommager.
L’accord prévoit aussi une reconnaissance de l’AJIQ comme interlocutrice privilégiée des pigistes, la mise en place d’un contrat type et la mise en place d’un programme de stage rémunéré à Voir.
« [Un montant de] 20 000 $, c’est peu au regard de la valeur réelle des violations de droits qui ont été commises, mais compte tenu des garanties qui nous sont données pour l’avenir, le compromis nous semblait juste entre la réparation et le futur», a expliqué Simon Van Vliet au Devoir.
L’AJIQ est d’autant plus ravie de l’entente qu’elle vient ainsi «placer la première pierre de l’édifice d’un système de représentation et de négociation collective de journalistes indépendants».