Laïcité inachevée
Telle la mouche du coche, le conseiller Marvin Rotrand est revenu à la charge pour réclamer du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qu’il autorise ses agents à porter le hidjab, le turban ou la kippa. Candide, la mairesse Valérie Plante s’est dite «très ouverte» à l’idée. Cette proposition controversée montre que la question de la laïcité au Québec, malgré les prétentions du gouvernement Couillard, est loin d’être réglée et peut resurgir inopinément.
Moins de six mois après l’adoption du projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État — votée sans l’appui des partis d’opposition —, l’enjeu du port des signes religieux par des agents de l’État refait surface. Avec ce projet de loi qui impose de fournir ou de recevoir des services de l’État à visage découvert, le gouvernement Couillard croyait avoir mis le couvercle sur la marmite. «La question est close», a déclaré jeudi Philippe Couillard. C’est « au niveau de la police et des municipalités » que les décisions doivent se prendre, a-t-il dit, en s’en lavant les mains.
De son côté, Justin Trudeau a cité en exemple la Gendarmerie royale du Canada (GRC), dont l’ouverture aux signes religieux est un « atout », selon lui.
Rappelons que les partis d’opposition avaient offert au gouvernement libéral de voter pour le projet de loi 62 s’il acceptait d’y inscrire la recommandation de la commission Bouchard-Taylor visant l’interdiction pour les agents de l’État exerçant un pouvoir de sanction ou de coercition, tels les juges, les policiers et les gardiens de prison, d’arborer des signes religieux. Pour Gérard Bouchard en particulier, cette position correspondait au voeu d’une majorité de Québécois et constituait «une attente raisonnable». Mais Philippe Couillard a repoussé la main tendue de l’opposition, rejetant la possibilité que ce projet de loi soit adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Nous l’avions d’ailleurs déploré.
Au moment où on débat du port de signes religieux par les policiers, une femme voilée, Ève Torres, s’est portée candidate à l’investiture de Québec solidaire dans Mont-Royal–Outremont. C’est une première : le Directeur des élections du Québec (DGEQ) vient de changer les règles relatives aux photos des candidats aux élections. Ils n’ont plus à soumettre, aux fins d’identification sur le bulletin de vote, une photo où ils figurent tête nue; seul leur visage doit être découvert. Les femmes qui tiennent à garder le voile peuvent désormais se porter candidates.
Il va de soi qu’un candidat à l’élection et possible député n’a pas à respecter le devoir de réserve qu’on impose à un juge ou à un policier. Au contraire, il doit pouvoir exprimer ses convictions sans contrainte. À l’Assemblée nationale, le privilège parlementaire lui assurera une pleine liberté de parole. Un candidat peut aussi défendre une cause particulière ou des idées religieuses. C’est aux électeurs de choisir qui les représentera.
Dans le cas d’Ève Torres, la candidate a affirmé au Devoir qu’elle ne voulait pas se limiter aux enjeux identitaires et de diversité. Il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut échapper au message politique qu’elle envoie. Mme Torres était jusqu’à récemment porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) au Québec et, à ce titre, elle a participé à la démarche de contestation des dispositions de la loi 62 sur le visage découvert. Sur cette question, la candidate semble s’écarter des positions de QS: le projet de loi 398, présenté par Françoise David, reprenait la recommandation de Bouchard-Taylor ainsi que l’obligation du visage découvert.
Péquistes, caquistes et solidaires ont exhorté le SPVM de ne pas permettre à ses membres de porter le hidjab ou le turban. Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, veut même faire de cette question un enjeu électoral. Le premier ministre s’illusionne s’il croit que le sujet est clos.
Même avec la loi sur la neutralité religieuse, son gouvernement n’est pas sorti de l’auberge. En décembre dernier, la Cour supérieure a donné raison à une musulmane et au CNMC en suspendant l’application de l’article 10 de la loi qui porte sur l’obligation du visage découvert.
Si la question du port de signes religieux se pose pour le SPVM, elle se pose aussi pour la Sûreté du Québec. Même si les libéraux ont choisi de se défiler, ce n’est pas à la Ville de Montréal, ni aux corps de police, de déterminer les règles en matière de laïcité de l’État. Un jour ou l’autre, le gouvernement, quel qu’il soit, devra s’atteler à cette tâche inachevée et instaurer un modèle de laïcité qui correspond au consensus québécois.