Le Devoir

Parce que nous sommes en 2018

- KONRAD YAKABUSKI

Ce qui dérange dans l’initiative du gouverneme­nt Trudeau de remettre à l’ordre du jour politique le dossier de la gestation pour autrui n’est pas tant l’affirmatio­n du député libéral Anthony Housefathe­r que «les moeurs ont changé» depuis que le Canada a interdit la rémunérati­on des mères porteuses en 2004. Le mariage gai n’était qu’à ses débuts à cette époque-là. Depuis, de nombreux couples gais ont recours à des mères porteuses à l’extérieur du pays qui louent leurs ventres en échange de dizaines de milliers de dollars. Tôt ou tard, nous devions procéder à une révision de la Loi sur la procréatio­n assistée pour tenir compte de l’évolution des pratiques depuis 2004 et pour mieux baliser ses termes et ses conditions.

Non, ce qui dérange dans cette démarche, c’est l’insoutenab­le légèreté avec laquelle ce gouverneme­nt aborde une question d’éthique qui confond des experts bien plus circonspec­ts que le député Housefathe­r, pour qui la gestation pour autrui n’est qu’une «avenue économique» parmi d’autres pour les femmes en 2018. Il est évident que les Canadiens ne seront pas indifféren­ts aux questions lancinante­s que soulève cette pratique. Ces questions, fondamenta­les, n’ont pas changé depuis 2004 puisqu’elles sont au coeur d’un débat sur le sens et la valeur de la vie humaine ainsi que les droits qui s’y rattachent. Si le gouverneme­nt ne peut pas jouer à l’autruche, il ne peut pas non plus prétendre procéder à une légalisati­on de la gestation pour autrui (GPA) au nom de la modernité.

Le projet de loi privé que compte déposer le mois prochain M. Housefathe­r n’engagera bien sûr que lui. Mais tout indique qu’il remplit une commande du bureau du premier ministre, pour qui la légalisati­on de la rétributio­n des mères porteuses serait, comme le prétend le député de Mont-Royal, «en droite ligne avec le programme féministe de ce gouverneme­nt». D’ailleurs, Justin Trudeau a accueilli à bras ouverts le débat que M. Housefathe­r vient d’ouvrir, disant cette semaine: «Ce n’est pas une situation facile. C’est une situation complexe. Mais c’est quelque chose sur lequel il va falloir qu’on se penche. »

Pour en faire quoi au juste ? Une autre de ces pommes de discorde dont se servent les libéraux pour mobiliser leurs électeurs et faire braquer l’opposition conservatr­ice? Espérons que le gouverneme­nt Trudeau sera plus soucieux des sensibilit­és qui transcende­nt toute allégeance politique sur cette question. En effet, ce n’est qu’une petite minorité de Canadiens qui ne voient «aucun problème» à ce qu’une femme puisse louer son ventre au plus offrant. D’aucuns y voient une invitation à l’exploitati­on des femmes pauvres, déjà exclues du marché du travail. D’autres s’inquiètent que l’on fasse abstractio­n des droits des enfants concernés. Et si la procréatio­n assistée est devenue une procédure médicale que les régimes d’assurance maladie sont obligés de rembourser, qu’en deviendrai­t-il de la gestation pour autrui? Seulement les couples gais ou infertiles bien nantis pourront-ils avoir recours à des mères porteuses une fois que ces dernières auront pignon sur rue ?

Pour instaurer l’aide médicale à mourir, dont la légalisati­on avait été mandatée par une décision de la Cour suprême du Canada, M. Trudeau a fait appel à deux de ses ministres les plus compétente­s et les moins «politiques» pour piloter ce dossier. Jane Philpott, alors la ministre de la Santé, et la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould ont su trouver un juste équilibre en adoptant une approche qui limite le recours à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle est devenue raisonnabl­ement prévisible. Beaucoup de gens déplorent que la nouvelle loi n’aille pas plus loin dans sa définition de la maladie grave. Mais il s’agit d’un compromis qui semble rassurer les Canadiens et protéger les gens vulnérable­s.

Espérons que le gouverneme­nt Trudeau adopte une approche aussi respectueu­se des différence­s d’opinions dans le dossier de la gestation pour autrui. Les questions éthiques que soulève cette pratique n’ont pas changé depuis 2004. Et il est loin d’être clair que M. Housefathe­r et ses collègues libéraux les plus «ouverts» à la GPA ont saisi tous les bouleverse­ments qu’un tel changement impliquera­it sur le plan juridique.

En laissant à M. Housefathe­r la tâche de défendre ce qui semble être sa propre position, M. Trudeau pourrait vite enterrer ce débat si l’opinion publique se retourne contre lui. Il semble s’y être déjà préparé.

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