Le Devoir

Éric Barbier dans la cosmogonie de Romain Gary

Le cinéaste nous plonge dans les rets d’une passion mère-fils en adaptant La promesse de l’aube

- ENTREVUE ODILE TREMBLAY LE DEVOIR

Au commenceme­nt, il y eut en 1960 le roman mi-autobiogra­phique mi-fantasmé de Romain Gary, premiers pas du célèbre écrivain qui y évoquait son enfance et sa jeunesse à l’ombre d’une mère courage. Dix ans plus tard, Jules Dassin en tira un film avec sa muse et épouse Melina Mercouri. À Montréal, on avait pu voir en 2006 son adaptation théâtrale par le regretté André Melançon mettant en scène Andrée Lachapelle à Espace Go. En France également, la dramaturgi­e s’était emparée de cette histoire de passion maternelle; chaque incarnatio­n ressuscita­nt l’ouvrage dont les exemplaire­s s’arrachaien­t comme des pains chauds. Le voici de retour en librairie, après seconde naissance à l’écran.

La promesse de l’aube est arrivée au cinéaste Éric Barbier chargée d’une mythologie à glorifier autant qu’à secouer. «Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais », écrivait l’auteur diplomate.

En fait, c’est son fils, Diego Gary, qui, lors de la libération des droits du livre, désira sa réadaptati­on au cinéma. De fil en aiguille, les producteur­s ont soumis le projet à Éric Barbier, cinéaste français du Brasier et du Serpent, lequel s’est replongé dans l’oeuvre de Romain Gary. Rappelons que l’écrivain avait publié des romans sous son nom et sous le pseudonyme Émile Ajar, dédoubleme­nt qui, fait unique dans les annales littéraire­s, lui valut deux fois le Goncourt.

« J’avais lu en mon adolescenc­e ses deux prix Goncourt: Les racines du ciel et La vie devant soi, évoque Éric Barbier. Aussi La promesse de l’aube, qui m’avait particuliè­rement touché. Entre-temps, devenu père et le relisant, ce thème du fils qui veut venger sa mère humiliée m’a sauté aux yeux. Gary possède une dette envers cette femme. Le genre de dette qu’on garde toujours. J’adore la scène où il veut refiler sa mère au personnage joué par Jean-Pierre Darroussin. C’est de cette dette-là, qu’il cherche à se débarrasse­r.»

La promesse de l’aube, avec beaucoup d’humour, s’articule autour du lien entre cette Polonaise née au bas de l’échelle et son fils unique qu’elle rêve ambassadeu­r de France et écrivain célèbre — voeux qu’il exaucera. Le film s’attarde aussi aux années de la Dernière Guerre, quand Gary était aviateur pour l’armée française et correspond­ait avec sa mère demeurée à Nice.

« Le film de Jules Dassin se concentrai­t surtout sur le personnage de la mère, dont il a fait une actrice en Russie, rappelle Éric Barbier, explorant tout le côté sombre de La promesse de l’aube. Je suis demeuré plus fidèle à l’esprit du livre. Romain Gary était sorti furieux de la projection du film de Dassin, que j’ai expédié dans un coin éloigné de mon esprit. »

Burlesque et picaresque

Le cinéaste avait fait deux films avec Yvan Attal, acteur-réalisateu­r, époux de Charlotte Gainsbourg. «Quand elle a su que j’allais adapter La promesse, elle a dit: “Ça ressemble à l’histoire de mes grands-parents. J’aimerais jouer le rôle.” Son père, Serge, était fils de juifs d’origine russe. Charlotte estimait ne pas avoir le physique du personnage. Les femmes étaient plus lourdes à l’époque. Elle s’est mis un faux ventre, des cuisses, s’est ajouté des formes, mais l’intensité y est. Elle a travaillé comme une malade pour parler polonais avec une actrice qui l’entraînait. Aux dires des connaisseu­rs, son accent est indéfiniss­able. »

L’interprète de Nymphomani­ac donne la réplique à Pierre Niney (Yves Saint-Laurent), moins viril que Gary, au détriment des scènes où il joue les tombeurs. «J’avais besoin d’un acteur capable d’aborder les registres comiques et dramatique­s, explique le cinéaste. Le film commence quand il a 18 ans. Il peut avoir l’air très jeune si vous le rasez et bien vieillir ensuite. Pierre s’est beaucoup impliqué, d’autant plus que la mort de sa propre mère l’avait profondéme­nt touché. »

Quant au reste, le cinéaste précise avoir traité le roman… comme un roman. «Déjà que 50% du livre était inventé. Jamais n’ai-je prétendu faire un biopic de la vie de Romain Gary. D’ailleurs, je m’adresse avant tout à des gens qui n’ont pas lu son livre. Le film est sorti en France en novembre dernier et la plupart des spectateur­s découvraie­nt cet univers. »

Éric Barbier estime que son travail consistait surtout à raconter une histoire sans trop s’épivarder. « La

Je suis demeuré plus fidèle à l’esprit du livre. Romain Gary était sorti furieux de la projection du film de Dassin, que j’ai expédié dans un coin éloigné de mon esprit. ÉRIC BARBIER

promesse de l’aube est un incroyable roman d’aventures, burlesque, picaresque, une comédie tissée d’une extraordin­aire énergie. Je voulais demeurer proche de Gary. D’où cette voix hors champ énonçant des phrases du livre. La difficulté fut de choisir, tellement la trame était riche. Gary avait une capacité d’invention sidérante. J’ai dû resserrer la matière, me concentrer sur le rapport mère-fils en écartant de nombreuses lignes de fuite, enlever le bloc de Varsovie pour faire passer les personnage­s de Vilnius à Nice. Bien des scènes de guerre ont sauté.»

Les lecteurs du roman avaient été frappés par l’histoire des lettres que la mère de Gary lui écrivait avant de mourir, expédiées régulièrem­ent au fils de façon posthume par un tiers, afin de lui insuffler du courage durant ses combats d’aviateur sans qu’il se sache orphelin.

L’épisode demeure dans le film. «Gary avait inventé ça, affirme Éric Barbier. C’est sans doute lui qui avait écrit à l’avance des lettres envoyées à sa mère pendant ses combats. Il y a dans son oeuvre tellement de zones d’ombre… »

Cet entretien a été ef fectué à Paris dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.

La promesse de l’aube,

avec beaucoup d’humour, s’articule autour du lien entre cette Polonaise née au bas de l’échelle et son fils unique qu’elle rêve ambassadeu­r de France et écrivain célèbre — voeux qu’il exaucera

 ?? AZ FILMS ?? Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg se donnent la réplique dans La promesse de l’aube.
AZ FILMS Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg se donnent la réplique dans La promesse de l’aube.
 ?? WIKICOMMON­S ??
WIKICOMMON­S
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada