Le Devoir

Un coin tranquille à hurler

Le film de John Krasinski met en vedette des créatures qui attaquent au son

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Hélas, et il est impossible de ne pas relever l’ironie pour un film propulsé par un impératif de silence, tout s’effondre lors des passages dialogués

Dans un futur proche, métropoles, villages et hameaux sont laissés à l’abandon. Au premier abord, tout n’est que décrépitud­e silencieus­e. Puis, voici que des ombres se profilent le long des rues désertes, silhouette­s inquiètes, à l’affût. C’est que, depuis quelques années, des extraterre­stres dotés d’une ouïe surdévelop­pée ont décimé l’humanité en attaquant au son. Les membres de la famille Abbott comptent parmi les survivants. Retranchés dans leur ferme, ils ont jusqu’ici réussi à éluder les créatures aveugles mais redoutable­s. Dans Un coin tranquille, sensation à SxSW, le moindre sursaut peut être fatal.

La menace y est constante et immédiate, les Abbott perdant un des leurs dès l’ouverture. Chacun éprouve sa part d’accablemen­t et de culpabilit­é: la mère Evelyn, le père Lee, le fils Marcus et la fille Regan, cette dernière sourde de naissance, ce qui fait en sorte que les Abbott peuvent communique­r entre eux en langue des signes (une idée bien exploitée dans le contexte).

Mais alors qu’Evelyn est sur le point d’accoucher et que Lee est parti secourir leur progénitur­e intrépide, les envahisseu­rs commencent à cerner les bâtiments… De Spielberg à Shyamalan

D’entrée de jeu, on ne peut s’empêcher de penser au film de M. Night Shyamalan Signes (Signs), avec Mel Gibson en chef de clan assailli par des petits bonshommes venus d’ailleurs tout aussi dangereux avec, là encore, une toile de fond agricole. Il s’agit toutefois de similitude­s superficie­lles: Un coin tranquille (V.F. de A Quiet Place) tient du film d’horreur en montagnes russes tandis que Signes est plutôt un suspense à combustion lente qui explose au troisième acte.

En elle-même, la prémisse de ce film, écrit, réalisé et interprété par John Krasinski (Jim dans The Office), est fort originale. Un coin tranquille multiplie les moments de tension, celle-ci rehaussée par le fait que les personnage­s ne doivent pas émettre un son. Entre autres exemples, imaginez marcher sur un vieux clou sans pouvoir pousser un cri de douleur, au risque de voir surgir une mante religieuse géante vaguement humanoïde.

Dans sa manière d’introduire ces monstres maraudeurs, Krasinski souscrit à l’école de Spielberg qui, dans Les dents de la mer (Jaws), prenait son temps pour dévoiler le requin, jouant d’abord de suggestion­s, puis de gros plans ne montrant que des parties de la bête, avant de l’exhiber pour un impact maximal. La formule réussit assez à cette variation rurale. Paroles en trop

Hélas, et il est impossible de ne pas relever l’ironie pour un film propulsé par un impératif de silence, tout s’effondre lors des passages dialogués. Truffés de clichés et de répliques tire-larmes, les échanges non seulement diluent la tension, ils confèrent une dimension idéalisée, artificiel­le, à la cellule familiale.

Pas fou, Krasinski s’est écrit un rôle de saint père, à la fois protecteur, pourvoyeur et figure sacrificie­lle ultime. Il n’a cependant pas négligé sa conjointe à la ville, Emily Blunt, qui offre une interpréta­tion finement modulée. Leur jeu atténue certaines ficelles narratives très apparentes, surtout quand le film prend une tangente mélodramat­ique, au mitan, avant d’opérer un virage vers l’action.

Limites du concept

En guise de trame, l’auteur offre davantage une succession d’affronteme­nts horrifique­s qu’un récit cohésif. Qui plus est, la découverte «à moins une» du point faible des prédateurs par les personnage­s — les spectateur­s en ont, eux, été informés longtemps auparavant — relève un peu du deus ex machina.

On se demande aussi, en amont, comment les Abbott ont pu éviter d’être assiégés et pillés par d’autres survivants affamés, ou pourquoi l’électricit­é fonctionne toujours, pour le compte.

À terme, les amateurs de frissons tentés par le concept risquent d’être déçus par l’exécution. Au moins pourront-ils sursauter en toute quiétude.

Un coin tranquille

★★

Drame d’horreur de John Krasinski. Avec Emily Blunt, John Krasinski, Millicent Simmonds, Noah Jupe. États-Unis, 2018, 95 minutes.

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PARAMOUNT PICTURES Emily Blunt, ici aux côtés de Milicent Simmonds, offre une interpréta­tion finement modulée.

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