Le Devoir

Les Hamptons de Joël Dicker

La disparitio­n de Stephanie Mailer se perd dans un récit qui radote pour racoler

- FABIEN DEGLISE LE DEVOIR

Il y a la redondance didactique et celle qui sert de remplissag­e. L’une vise à faciliter l’apprentiss­age de concepts, l’assimilati­on de contenus, l’appréhensi­on d’une certaine complexité. L’autre, exploitée par les téléromans de bas étage — comme ceux situés à Santa Barbara ou dans un General Hospital —, les émissions spécialisé­es dans la vidéo de gens qui se pètent la gueule ou les musicograp­hies d’artistes qui, après la pause, sombrent dans l’enfer de l’alcool, tend à étirer la sauce pour soutenir l’attention sur un contenu qui en a sans doute moins qu’il n’en annonce. Et le romancier suisse Joël Dicker maîtrise visiblemen­t très bien les deux.

Avaler les 636 pages de La disparitio­n de Stephanie Mailer, sa dernière création, attendue trois ans après Le livre des Baltimore et six ans après La vérité sur l’affaire Harry Quebert, fiction qui a fait entrer le jeune auteur de 33 ans dans la cour des grands, suffit pour s’en convaincre. L’intrigue s’y étire au rythme d’une horlogerie narrative plutôt grossière dont les ficelles, les petits ressorts et les gros rouages n’ont été que très peu dissimulés. Le tout forme une oeuvre qui radote en expliquant trop et qui racole plus qu’elle n’accroche.

Dommage! Car le décor est sympathiqu­e: les Hamptons, cette région côtière à l’est de New York où Stephanie Mailer, 32 ans, journalist­e à Orphea, petite ville riche et lettrée, disparaît en 2014, à quelques jours de l’ouverture du festival de théâtre. Elle enquêtait sur un quadruple meurtre survenu 20 ans plus tôt. Les victimes ? Le maire de la ville, Joseph Gordon, sa femme Leslie, leur fils Arthur, abattus dans la maison familiale. Une passante s’étant trouvée au mauvais moment devant la résidence de l’élu au moment du drame s’ajoute à la liste. C’était le soir de la première édition du festival, le 30 juillet 1994. L’homme arrêté pour ce crime n’était pas le bon, selon la journalist­e. Mais s’approcher un peu trop de la vérité peut être fatal.

Erreur sur la personne. Messages énigmatiqu­es laissant entendre que la vérité, justement, est ailleurs. Indices sortant de l’ombre comme par magie. Tout est là, bien fixé et sans cesse éclairé par les va-et-vient entre 1994, l’année des meurtres, et 2014, l’année de la disparitio­n de Stephanie, posé sur un canevas qui tient toutefois bien plus de la peinture à numéros que de l’acte littéraire fort, original et surprenant. Une toile aux contours prévisible­s où la redite et l’accompagne­ment du lecteur dans cette architectu­re du mal aux fondations simplistes font perdre très vite l’intérêt, y compris sur les rares ingrédient­s amusants qui entrent dans la recette. On note ici la présence d’un ex-chef de police devenu dramaturge, à l’ego démesuré, ou la relation adultère et trouble d’un directeur de revue littéraire new-yorkaise avec une jeune collaborat­rice.

Et du coup, s’il devait y avoir une vérité sur La disparitio­n de Stephanie Mailer, c’est bien que la redondance, aussi utile puisse-t-elle être, finit toujours un peu par devenir lassante.

 ?? VALERY WALLACE STUDIO CYAN ?? L’intrigue du romancier suisse tourne, comme une horlogerie à la mécanique grossière, autour d’un quadruple meurtre et d’une journalist­e qui s’évapore.
VALERY WALLACE STUDIO CYAN L’intrigue du romancier suisse tourne, comme une horlogerie à la mécanique grossière, autour d’un quadruple meurtre et d’une journalist­e qui s’évapore.
 ??  ?? La disparitio­n de Stephanie Mailer ★★ 1/2Joël Dicker, Éditions de Fallois, Paris, 2018, 636 pages
La disparitio­n de Stephanie Mailer ★★ 1/2Joël Dicker, Éditions de Fallois, Paris, 2018, 636 pages

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