Deux vies face à des vents contraires
Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin racontent à froid la désintégration d’un couple mal assorti
«L’amour n’est pas le contraire de la haine, écrit Georges Perros dans ses Papiers collés, c’est sa sublimation. »
Un verdict qui pourrait peut-être s’appliquer à l’histoire de Jean-Loup et d’Hortense. Dans leur vieil âge, des années après leur naufrage conjugal, ces deux personnages se racontent à tour de rôle dans Le pélican et le labyrinthe, troisième collaboration de Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin après La bonbonnière et Le temps figé (L’instant même, 2007 et 2012).
Homme solitaire et fuyant, JeanLoup Grozinski a quitté à 21 ans la France de l’après-guerre sans un regard pour sa famille. Il s’installera d’abord à Montréal, avant de devenir bibliothécaire spécialisé en histoire de l’art à l’Université Laval. Au tournant des années 1970, il fera la rencontre d’Hortense Guimond, une puéricultrice qui adore les enfants et qui souhaite elle-même en avoir au moins une demi-douzaine.
Décrivant leur bonheur furtif, la rapide dégradation de leur couple et leurs querelles incessantes, la succession des grossesses et leur divorce particulièrement houleux, même violent, Le pélican et le labyrinthe dessine le portrait gris de ce couple mal assorti, hanté par le spectre de la maladie mentale.
Alors que lui est un solitaire, pris dans le labyrinthe de désirs contradictoires et d’une impossibilité à communiquer (« J’avance dans la vie à la manière d’un somnambule, je cherche ma voie dans le noir»), elle est consumée jusqu’à la folie par son instinct maternel. «Ma vraie et seule profession a été d’être mère pélican. Avec ce que j’ai encaissé comme coups, j’ai trop de plomb dans les ailes pour voler. »
Ces deux vies vont se déployer sous nos yeux, enveloppées par la lourdeur et la monotonie d’une chape de plomb, avant que, des années plus tard, la mort accidentelle d’un de leurs enfants vienne sceller à jamais leur mésentente. Elle dira de lui, sans jamais laisser faiblir sa hargne: «Il était coupable d’être vivant alors que mon fils était mort. Sa vie à lui, j’aurais voulu la détruire. Le briser une fois pour toutes. Casser son maudit orgueil.»
Mais derrière la chronique de la misère domestique et sexuelle de leur couple, le véritable malheur est ailleurs. Les auteurs ensevelissent leur roman sous une avalanche de détails qui sont parfois à la limite de l’insignifiance — faisant fi du « show, don’t tell » cher à Hemingway.
D’une manière clinique et sans âme, Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin déroulent donc le fil de ces deux existences qui, sans être tout à fait banales, parviennent à nous écraser sans nous intéresser vraiment.
Loin de l’ironie acérée de La bonbonnière, le roman cette fois ne se démarque ni par l’écriture ni par l’histoire qu’il raconte.