Le monstre dans le nez
Jeanne Dompierre raconte la désintox d’une jeune femme souhaitant se défucker
Si la désintoxication est un processus physique, elle est aussi un discours auquel adhérer. Un discours évinçant les nuances, parce qu’il n’y a pas plus doué qu’une personne dépendante pour transformer un bémol en permission de se défoncer la gueule à nouveau. «Tu te méfies quand on t’expose tout ça comme s’il s’agissait des Évangiles. Nombreux sont les patients qui semblent avoir besoin d’y croire et qui considèrent que les préceptes des AA fournissent une réponse adéquate à n’importe quelle situation de l’existence», écrit Jeanne Dompierre dans Dopamine, son premier roman, entièrement narré à la deuxième personne.
Une jeune femme est déposée par sa bourgeoise de mère devant un centre de thérapie, afin de se « défucker ». Le verbe, suave, est ici employé afin de décrire ce marathon consistant à semer le «monstre» de la cocaïne, refuge de choix de ceux qui préfèrent au cauchemar du réel, la brève euphorie des rêves artificiels.
D’abord rétive, la patiente anorexique et borderline apprend lentement à moins vénérer sa mélancolie et à avaler les anesthésiantes pilules qu’on lui tend. « C’est à croire que les thérapeutes ont fini par te cheviller les douze étapes des Alcooliques anonymes dans le subconscient », s’étonne-t-elle un jour, en constatant à quel point il vaut mieux parfois souscrire à des discours tronqués que de se claquemurer dans une révolte de poudre.
Comme un rat dans une cage
Roman au ton très près du journal intime, et paradoxalement trop pudique pour que nous ayons la réelle impression de complètement mesurer la violence de ce qui harasse son personnage principal, Dopamine gagne en épaisseur lorsque Jeanne Dompierre (aucun lien de parenté avec Stéphane, son directeur littéraire) rompt le huis clos du centre de thérapie. En visite chez sa grand-mère, cette fille de riches n’est soudainement plus qu’une rebelle sans cause, mais la dépositaire d’un rapport trouble au bonheur, hérité du père.
La critique du vocabulaire de la dépendance et de l’ubiquitaire mot «consommation» à laquelle se livre en filigrane l’auteure suggère qu’il est possible de se laisser aider sans embrasser éternellement les dogmes sur lesquels mêmes les thérapies fructueuses reposent. La gravité de son sujet trouve une salutaire dose d’oxygène dans l’humour noir qu’affectionne sa narratrice sans prénom, fan de Smashing Pumpkins et The Cure prise comme un rat dans une cage. «Il y a des opportunités qui se perdent», note-t-elle au moment où l’infirmière complimente la beauté de ses veines, regrettant de n’avoir jamais senti l’appel des aiguilles.
«Tu te promets de retrouver la force de mourir avant de devenir éteinte, crayeuse et pathétique. C’est la première véritable résolution que tu prends depuis ton arrivée ici», observera-t-elle éventuellement face à une intervenante grise et amorphe, exemple parfait de ce en quoi elle ne veut pas se transformer lorsqu’elle sera libérée. Les motifs n’ont pas toujours d’abord à être nobles pour que l’espoir renaisse chez le dépendant.