Le grand piège de l’anglicisation
Deux mondes, deux conceptions de l’anglicisme. Alors qu’en France, la contamination de la langue française par l’anglais est nimbée «d’une aura de prestige», ici, ce serait «l’ignorance et la pauvreté» qui faciliteraient la prolifération d’un vocabulaire étranger anglo-saxon et des calques malfaisants qui en découlent dans le français quotidien, estime l’essayiste Michel Rondeau. Et cette équation laisse forcément poindre le pire.
«Malgré la réforme scolaire effectuée à la suite du rapport de la commission Parent, écrit-il, […] en 2016 […], le pourcentage d’analphabètes fonctionnels chez les Québécois de 16 à 65 ans est de l’ordre de 53% et parmi eux près de 20% ne savent ni lire et écrire. Une large proportion de la population continue donc de vivre dans une forme de culture orale du français et demeure ainsi encore très vulnérable à l’anglicisation. »
Le mal serait d’ailleurs bien avancé, juge dans ce premier essai, au croisement du carnet, du documentaire et du pamphlet, ce concepteur publicitaire amoureux des mots et de la précision de la langue en détaillant les boutures de l’anglais dans le patrimoine français du Québec, en mots — hip, hot, rough, tough, check, swing, twist et des centaines d’autres — et en expressions ou concepts calqués et détournés par la langue du conquérant, puis du voisin proche. Les visibles et ceux qui le sont moins.
Car l’anglicisation du français parlé au Québec est surtout insidieuse, estime-t-il dans une démonstration où l’illustration occupe une place plus importante que l’analyse. Une analyse, du reste, simple et impressionniste, qui, dans la dernière partie de ce livre, s’inquiète beaucoup d’une langue qui, en s’invitant dans une autre, impose aussi sa façon de voir et de nommer le monde. Et cette uniformisation nous englue «dans le blob du consensus mou et de la médiocrité docile», résume-t-il. En français.