Le Devoir

La vie des autres

A.J. Finn signe un thriller déroutant sur fond de résilience insoupçonn­ée

- MICHEL BÉLAIR COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

En bordure d’un parc, au milieu du secteur cossu de Harlem, une femme observe le quartier de sa fenêtre. Elle s’imagine tous les petits drames quotidiens, vrais ou faux, que vivent ses voisins: répartitio­n des tâches, disputes, infidélité­s. Pour mieux voir, elle se sert même parfois du téléobject­if de son appareil photo. Avec elle, on apprendra peu à peu à connaître les familles qui l’entourent et surtout l’une d’elles: les Russell.

Mais c’est d’abord elle, Anna Fox, que l’on connaît chaque jour un peu plus à travers son regard; on comprend rapidement qu’elle ne va pas très bien. On sait qu’elle est psychologu­e, qu’elle prend des tonnes de médicament­s et qu’elle boit beaucoup trop. Agoraphobe emmurée chez elle, elle passe l’essentiel de ses journées à siphonner des bouteilles de merlot, à reluquer les maisons voisines et à se repasser, DVD après DVD, des classiques noir et blanc du cinéma américain. Comme si elle tentait de meubler sa solitude, elle est en contact presque constant avec son mari et sa fille… qui l’ont quittée depuis peu.

Anna qui ne sort jamais se liera toutefois d’amitié avec l’épouse Russell, Jane, et le fils, Ethan, qui viennent la visiter; avec eux, elle semble s’ouvrir un peu à la réalité. Jusqu’au jour où elle assiste au meurtre de Jane alors qu’elle espionne à la fenêtre. Le précipice s’ouvre devant elle lorsqu’elle prévient la police… qui lui prouve plutôt que la Jane Russell qu’elle connaît n’existe pas.

Panique. Re-merlot. Anna est persuadée d’avoir vu ce qu’elle a vu mais auprès de la police, des voisins et même du lecteur, elle apparaît de plus en plus comme une femme désoeuvrée, malheureus­e et un peu folle criblée par le déni de la disparitio­n de ses proches. Sauf que rien n’est jamais aussi simple qu’il y paraît dans la vie et que l’on assistera plutôt à un revirement complet de la situation au dernier moment.

Il y a surtout que tout au long, le lecteur est piégé ; jamais on ne parvient à se faire une idée claire du personnage d’Anna. Cette femme qui se cache derrière l’alcool et des répliques célèbres de l’âge d’or du cinéma américain pour échapper à la réalité parvient en fait à leurrer tous ceux qui l’approchent, y compris elle-même dans ses élans de lucidité. Personnage aussi attachant que déroutant porté par une écriture méthodique et précise, Anna Fox séduit tout autant par ses faiblesses que par sa résilience: c’est une fois poussée dans ses derniers retranchem­ents qu’elle se révélera à elle-même… et au lecteur médusé.

Il n’est donc certaineme­nt pas anodin que le nom de A.J. Finn soit une fausse identité cachant en fait un journalist­e, éditeur à ses heures, du nom de Daniel Mallory. Son premier roman tout en trompe-l’oeil déjà publié dans une quarantain­e de pays laisse à tout le moins présager des choses intéressan­tes.

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PRESSES DE LA CITÉ A.J. Finn
 ??  ?? La femme à la fenêtre ★★★ 1/2A.J. Finn, traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, Presses de la Cité, Paris 2018,521 pages
La femme à la fenêtre ★★★ 1/2A.J. Finn, traduit de l’anglais par Isabelle Maillet, Presses de la Cité, Paris 2018,521 pages

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