Le Devoir

Un café nommé Honey

Du Costa Rica au Québec, un café d’exception

- ALLISON VAN RASSEL

Il est 14h à la ferme Finca Salaca, située à 1800 mètres d’altitude dans la région de Zarcero, au Costa Rica. Le seul bruit que l’on entend est celui de grains de café qui s’entrechoqu­ent. Son râteau de bois entre les mains, Gregorio remue des grains de café qui sèchent sur les nattes de filet suspendues qu’on nomme «lits africains ». Un geste qu’il fait plusieurs fois par jour afin d’assurer une harmonie dans la fermentati­on et empêcher que les grains ne figent ensemble.

Les grains de café sont si collants qu’on pourrait croire qu’ils ont été imbibés de miel. Il s’agit là de la méthode honey.

Direction Val-d’Or

En février dernier, près d’une douzaine de torréfacte­urs artisans propriétai­res de cafés indépendan­ts d’un peu partout au Québec ont visité des fermes de café au Costa Rica. Dans le groupe, des torréfactr­ices de Sainte-Anne-desMonts, Trois-Rivières, Beauport, Rimouski et Val-d’Or, la ville où Sophie Dallaire torréfie du café depuis plus de 20 ans à la Maison du café l’Armorique.

«Tant que je vais pouvoir visiter des pays producteur­s de café, je vais le faire, car j’apprends chaque fois», raconte Sophie. Chaque pays a sa méthode et ses façons de faire. « J’ai visité le Guatemala l’année dernière et j’ai vu qu’ils utilisent pas mal plus d’eau qu’ici pour transforme­r le café», poursuit-elle avec surprise.

«En général, au Québec, les gens ne sont pas habitués à boire des cafés de qualité. Il y a encore beaucoup d’éducation à faire, surtout parce que ce café-là est vu comme dispendieu­x. Une fois que tu goûtes à la beauté de ça, tu ne veux plus redescendr­e.»

Derrière elle, des grains de café sont en train de fermenter avec leur mucilage, une partie transparen­te et sucrée de la cerise de café située directemen­t sous la pelure du fruit. Une fois les cerises mûres cueillies à la main, elles sont lavées et entraînées par la gravité dans un appareil qui ne décortique que la peau du fruit. Les grains visqueux fermentent et sèchent au soleil pour une période pouvant atteindre 20 jours selon la températur­e.

Pendant cette fermentati­on, le sucre naturel contenu dans le mucilage de la cerise de café caramélise au soleil et se faufile délicateme­nt jusqu’à l’intérieur du grain de café. Plus la quantité de mucilage laissé sur le grain est importante, et plus il passera de temps au soleil, plus la couleur du grain sera foncée allant du jaune, au rouge et au noir.

Il y a beaucoup d’éducation à faire, surtout parce que [le café de qualité] est vu comme dispendieu­x. Une fois que tu goûtes à la beauté de ça, tu ne veux plus redescendr­e. SOPHIE DALLAIRE

Prendre le temps

Ce procédé demande du temps, des installati­ons adéquates et de la maind’oeuvre pour remuer les grains de café. En résulte un café fruité, naturellem­ent sucré et beaucoup moins acide que la méthode naturelle, où l’entièreté de la cerise est conservée autour du grain lors de la fermentati­on.

Cette façon de transforme­r le grain a été développée au Costa Rica d’une part par des fermiers soucieux de réduire leur consommati­on d’eau et, d’autre part, par le gouverneme­nt du Costa Rica qui, par la présence de l’Institut du café, contrôle toutes les activités de l’industrie du café du pays.

Une méthode appréciée de la « troisième vague »

Le procédé de transforma­tion du café honey est complexe, mais de plus en plus répandu auprès des petits fermiers producteur­s de café de spécialité un peu partout dans le monde. En résulte un grain de café fin beaucoup plus riche en arômes fruités. Cette qualité de produit assure un meilleur prix au fermier, partout dans le monde.

«La plus belle façon de goûter aux nuances de ce procédé, c’est en Chemex[cafetière en verre]», précise Simon-Louis Brosseau propriétai­re des cafés Paquebot et copropriét­aire de l’entreprise de torréfacti­on Zab, à Montréal. En plus, il y a comme un aspect vraiment zen autour de la technique de préparatio­n de ton café et le contrôle de ton infusion. »

La méthode honey est plus écologique et plaît davantage aux adeptes de la «troisième vague» de café, un mouvement de consommati­on qui prône le commerce direct, équitable et durable du grain à la tasse.

Ce mouvement est bien en vie au Québec, à un point tel que, selon les données de l’entreprise d’exportatio­n de café Sustainabl­e Trading Company basée à San José, au Costa Rica, il se consomme au Québec presque autant de café de spécialité de procédé honey qu’à Seattle dans l’État de Washington, où est né le mouvement « troisième vague ».

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PHOTOS ALLISON VAN RASSEL Gregorio brasse les grains de café pour éviter qu’ils ne figent ensemble.
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Des torréfacte­urs québécois en visite à la Finca Salaca, au Costa Rica, en compagnie de ses deux femmes propriétai­res.

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