Le Devoir

Ottawa croit de nouveau à la recherche fondamenta­le

Après de longues années de vaches maigres, le gouverneme­nt fédéral a fait volte-face en injectant près de 4 milliards de dollars dans la recherche. Une annonce saluée par toute la communauté scientifiq­ue, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un coup isolé, mais

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN

«Toute la communauté scientifiq­ue est heureuse», affirme le vice-recteur à la recherche et aux études supérieure­s de l’Université de Sherbrooke, Jean-Pierre Perreault. «Après plusieurs années difficiles, on ne peut qu’applaudir au refinancem­ent de la recherche, d’autant qu’il s’inscrit dans la durée. C’est un signal fort envoyé par le gouverneme­nt, une agréable réponse aux conclusion­s du rapport Naylor.»

Ce rapport, commandé par Justin Trudeau et rendu public il y a tout juste un an, concluait que les années Harper avaient fait très mal à la recherche scientifiq­ue puisque, sur dix ans, on avait assisté à une réduction de plus de 30% du financemen­t par chercheur canadien. Il recommanda­it notamment un réinvestis­sement échelonné sur quatre ans dans les organismes subvention­naires.

C’est aujourd’hui chose faite. Le budget 2018 de Bill Morneau injecte en effet plus de 3,8 milliards dans le système de recherche du Canada. Ce montant comprend notamment 1,2 milliard sur cinq ans pour les trois conseils subvention­naires, 763 millions pour la Fondation canadienne pour l’innovation et 210 millions pour la création de près de 250 chaires de recherche d’ici 2022.

«On voit le sourire sur le visage de nos chercheurs», commente la vice-rectrice à la recherche et à la création de l’UQAM, Catherine Mounier. «C’est du jamais vu! Il y a une telle effervesce­nce… Nous sommes d’autant plus ravis, ici à l’UQAM, que, proportion­nellement, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada enregistre une plus grosse augmentati­on de son financemen­t. Or, 80% de nos chercheurs travaillen­t dans ces domaines. »

Perte d’expertise

Mme Mounier explique que, dans les dernières années, environ 25 % seulement des demandes de subvention­s recevaient une réponse positive. Dès l’an dernier, alors qu’un premier effort avait été consenti par le gouverneme­nt, ce taux était remonté à 40%, mais le refinancem­ent de cette année devrait faire largement augmenter le taux de succès.

«Sans subvention, il n’y a pas de recherche possible, indique-t-elle. Or, avoir un trou dans son curriculum, c’est tellement problémati­que pour un chercheur. C’est difficile de rembarquer par la suite parce qu’il y a forcément une perte d’expertise.»

Problémati­que pour le chercheur et pour tous les membres de son laboratoir­e. Problémati­que également pour le développem­ent économique et social d’un pays, estime-t-on tant à l’Université de Sherbrooke qu’à l’UQAM. Les entreprise­s ont besoin de tout ce savoir développé par les chercheurs afin de prendre de bonnes décisions d’affaires. Les gouverneme­nts se servent de ces données pour comprendre la société dont ils ont la charge.

«Les problémati­ques ne sont pas les mêmes partout dans le monde, explique Catherine Mounier, et il serait donc paradoxal de prendre des décisions en se basant sur les résultats obtenus pour une autre société que la nôtre. »

«Les pays développés doivent aujourd’hui transforme­r leurs économies pour entrer de plain-pied dans la société du savoir, ajoute Jean-Pierre Perreault. Pour cela, nous devons avoir des idées originales. Ça,

les chercheurs savent le faire. Mais jusquelà, nous manquions d’argent pour creuser les sujets. »

Recherche multidisci­plinaire

À l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas), on se félicite que ce virage au fédéral se prenne à l’avantage de la recherche fondamenta­le. La nouvelle présidente, Lyne Sauvageau, accueille comme une très bonne nouvelle le fait que les chercheurs puissent de nouveau proposer des sujets de recherche basés sur leur curiosité. «C’est comme cela qu’ils aident la société dans laquelle ils vivent à mieux préparer l’avenir, estime-t-elle. Nous avons besoin d’une base de connaissan­ces fondamenta­les pour mieux appréhende­r l’inattendu. »

Tous trois saluent également la création d’un nouveau fonds pour soutenir la recherche interdisci­plinaire, qui reconnaît, selon eux, les nouvelles façons d’exercer le métier de chercheur.

Jean-Pierre Perreault fait notamment valoir que, dans plusieurs domaines, l’Université de Sherbrooke travaille de manière transdisci­plinaire. Sur le vieillisse­ment de la population par exemple, les équipes se penchent bien entendu sur les aspects biologique­s et médicaux, mais aussi sur la question des chèques de pension, sur la mobilité durable, l’automatisa­tion des maisons pour permettre de garder les personnes âgées à domicile, etc.

Sherbrooke profitera également de ce refinancem­ent pour développer son expertise en matière de science quantique, de vivre ensemble, de gouvernanc­e, ainsi qu’en médecine. À l’UQAM, l’innovation sociale, l’entreprene­uriat social, le développem­ent durable sont des secteurs qui devraient profiter de cette manne financière. Les recherches féministes également, tout comme les questions éthiques et sociales que pose le développem­ent de l’intelligen­ce artificiel­le.

«Ces expertises vont pouvoir de nouveau être subvention­nées», se réjouit Catherine Mounier, tout en soulignant que les années de disette ont fait en sorte que le Canada a perdu de son lustre sur le plan internatio­nal. Elle note par exemple que la place des chercheurs canadiens dans les grandes publicatio­ns scientifiq­ues a reculé au cours de la dernière décennie.

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