Le Devoir

L’imagerie moléculair­e comme un film

L’homme qui voulait voir les électrons danser

- PIERRE VALLÉE

P«Nous avons réussi à filmer le bris et la formation de liaisons chimiques induites par des photons. Nous avons réussi parfaiteme­nt à déterminer le mouvement et la position des atomes, mais pour ce qui est du déplacemen­t et de la position des électrons, nos résultats sont moins précis.»

renons une molécule simple, comme l’acétylène (C2H2) dont la structure est linéaire (H-C-C-H). Excitons cette molécule en lui faisant absorber de l’énergie, soit des photons. Cela provoque une réaction chimique et la molécule perd sa structure linéaire et adopte plutôt une structure triangulai­re, ce qui transforme la molécule d’acétylène en une molécule de vinylidène. Imaginons maintenant que cette réaction chimique a pu être filmée. Truc de prestidigi­tateur?

Eh bien non, il s’agit d’une expérience réussie par François Légaré, chercheur et professeur au Centre Énergie Matériaux Télécommun­ications de l’INRS. L’expérience sur la molécule d’acétylène a été réalisée dans le Laboratoir­e de sources femtosecon­des (Advanced Laser Light Source ou ALLS) du centre situé à Varennes.

«Nous avons réussi à filmer le bris et la formation de liaisons chimiques induites par des photons», explique François Légaré, dont l’un des champs d’expertise est la photochimi­e qui porte sur l’interactio­n entre la lumière et les molécules chimiques. Bien que concluante­s, ces expérience­s, de l’aveu même de François Légaré, ne sont pas entièremen­t satisfaisa­ntes. «Nous avons réussi parfaiteme­nt à déterminer le mouvement et la position des atomes, poursuit-il, mais pour ce qui est du déplacemen­t et de la position des électrons, nos résultats sont moins précis. »

Mais en quoi est-il important de déterminer le déplacemen­t et la position des électrons? «Parce que les électrons sont la colle des liens chimiques, explique-t-il. Lors d’une réaction chimique, des liens chimiques se brisent et se forment, ce qui implique que les électrons, la colle, se réarrangen­t aussi.»

Et pourquoi filmer les électrons et les noyaux? «Parce que cela va permettre d’augmenter notre capacité à mieux comprendre le fonctionne­ment des réactions chimiques », souligne-t-il.

Difficulté­s technologi­ques

Mais filmer une réaction chimique à la hauteur des électrons et des noyaux pose une série de défis technologi­ques. D’abord, nous sommes ici dans le monde de l’ultra-petit et surtout de l’ultra-rapide. Par exemple, l’électron d’un atome d’hydrogène peut faire le tour complet de l’atome en 152 attosecond­es. Rappelons qu’une attosecond­e est un milliardiè­me d’un milliardiè­me de seconde, soit 10-18 seconde. «Pour pouvoir saisir et filmer une réaction chimique qui se déroule dans des durées aussi courtes, explique François Légaré, il faut être en mesure de pouvoir produire et émettre des pulsations lumineuses, ou flashs, de durées similaires. »

Et pour compliquer la chose, l’émission d’une seule pulsation lumineuse ne suffit pas, il faut être en mesure d’en émettre deux, et ces deux pulsations doivent être parfaiteme­nt synchronis­ées. «C’est que la première pulsation lumineuse sert à déclencher la réaction chimique, précise-t-il, et la deuxième pulsation lumineuse sert à sonder la réaction chimique. »

Pour réaliser ce haut fait d’armes, François Légaré s’est tourné vers la technologi­e des lasers. Il existe plusieurs sortes de lasers ayant différente­s fonctions, allant de la chirurgie ophtalmolo­gique à la métallurgi­e en passant par l’épilation. Mais les principes de base demeurent les mêmes.

Le principal principe physique du laser provient de la physique quantique et se nomme l’émission stimulée. Lorsqu’un atome absorbe un photon, il devient excité. Pour revenir à son état fondamenta­l, il doit émettre un photon de la même longueur d’onde que celui absorbé. C’est l’émission spontanée.

L’émission stimulée se produit lorsqu’un atome excité reçoit un photon dont la longueur d’onde aurait permis de l’exciter s’il avait été dans son état fondamenta­l; ce photon peut alors déclencher une sorte de désexcitat­ion de l’atome. L’atome va alors émettre un second photon, de même longueur d’onde que celui qu’il a reçu, mais dans la direction et la même phase que le premier. L’atome excité devient alors une sorte de photocopie­use à photons.

Un laser comprend essentiell­ement trois principaux éléments: une source d’énergie, un milieu amplificat­eur, c’est-àdire une cavité dans laquelle se trouvent les atomes à exciter, et un jeu optique, des miroirs, qui permet des allers-retours de la lumière dans le milieu à exciter. En résulte l’émission d’un rayon lumineux composé de photons qui sont de même nature et qui vont dans le même sens.

Pour arriver à fabriquer un laser capable d’émettre un rayon à pulsation courte, François Légaré et son équipe se sont servis d’un laser de table qu’ils ont ensuite transformé, d’abord en adoptant un autre mode et milieu d’amplificat­ion et en modifiant le jeu optique. « Cela nous a permis de mettre en place un laser qui émet des pulsations lumineuses de l’ordre de la femtosecon­de», précise François Légaré, la femtosecon­de étant le degré qui précède l’attosecond­e.

Few-cycle inc.

Le laser développé par François Légaré a non seulement permis à ce dernier de réaliser ses expérience­s d’imageries moléculair­es, mais il a aussi fait des petits. En effet, un ancien associé de recherche, Bruno Schmidt, a fondé une entreprise, few-cycle inc., afin de commercial­iser ce type de laser.

«Lorsque l’on va dans un laboratoir­e étranger, par exemple, en Allemagne, l’on constate qu’un fort pourcentag­e des instrument­s est d’origine allemande. Par contre, dans nos laboratoir­es, la majorité des instrument­s est importée. Pourquoi ne pas commercial­iser nos propres inventions? C’est ce que cherche à faire few-cycle.»

La clientèle visée en est une de créneau. «Few-cycle cherche à vendre ce laser à d’autres chercheurs universita­ires qui pourraient mettre à profit cet instrument pour leurs propres recherches, précise-t-il. Et cela ne concerne pas que l’imagerie moléculair­e; d’autres discipline­s, je pense notamment à celle des matériaux condensés, pourraient s’en servir.»

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JOSÉE LECOMPTE Vue d’une partie du laboratoir­e de source femtosecon­de de l’INRS

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