Le Devoir

L’hypothèque de la vie à crédit

La dette de Dieu touche un sujet important, mais verse trop dans le didactisme

- MARIE LABRECQUE Collaborat­rice

LA DETTE DE DIEU

Idéateur, auteur, interprète et concepteur vidéo : Jean-François Boisvenue. Une production de La nuit/Le bruit. Au théâtre La Chapelle jusqu’au 13 avril.

L’endettemen­t est un sujet original pour un one-man-show théâtral. Mêlant personnel et collectif, anecdotes et déconstruc­tion d’un système abstrait, l’artiste multidisci­plinaire Jean-François Boisvenue a créé un «essai scénique et poétique » traitant de l’impact de mécanismes économique­s qui encouragen­t notre mode de vie à crédit.

Inspiré par une éloquente fable de l’écrivain allemand Heinrich Heine sur la création du monde, La dette de Dieu s’ouvre par un clin d’oeil humoristiq­ue, avec l’interprète juché sur un escabeau tel l’Être suprême. Et dans les 70 minutes suivantes, Jean-François Boisvenue va en effet se multiplier à loisir, convoquant les registres les plus divers: conférence, extrait d’entrevue télévisée (intéressan­t commentair­e, par ailleurs, de Claude Béland), chorégraph­ie, musique… Une occasion, écrit-il, «de faire converger mes acquis de différente­s discipline­s, qu’elles soient artistique­s ou non».

Indéniable charge critique

Les écarts formels paraissent abrupts et le collage un peu boiteux. Surtout, le performeur, qui transmet une matière spécialisé­e et tient visiblemen­t à se faire comprendre du public, nous offre un véritable cours sur le sujet. Si bien que son solo prend une forme lourdement didactique par moments. Ce caractère professora­l semble accentué, plutôt qu’adouci, par cette façon un peu forcée qu’a Jean-François Boisvenue de s’adresser familièrem­ent à certains de ses étudiants-spectateur­s (même nommément, le soir de la première), voire de tester leurs connaissan­ces par des questions directes. Le cours d’économie 101 comprendra même la lecture d’un article de journal sur scène…

Dommage, parce que le spectacle porte une indéniable charge critique. Il comporte des éléments grinçants, tel un discours de Philippe Couillard revisité sur un solo de guitare métal… Le créateur avait auparavant disserté sur l’étude économique dont s’était servi le gouverneme­nt libéral pour justifier ses politiques d’austérité. Une étude sur l’endettemen­t des pays pourtant jugée «caduque» depuis. La théorie fumeuse du «ruissellem­ent» économique, chère aux Américains républicai­ns, inspire aussi une scène assez riche, et un monologue qui est de l’ordre de la métaphore.

Informatif, La dette de Dieu contient aussi quelques éléments formels intéressan­ts. Notamment le travail sur le corps — conseillé par Catherine Laframbois­e Desjardins. Le principe de l’endettemen­t y est représenté, très éloquemmen­t, par une posture sur la ligne du temps, en «équilibre entre le présent et le futur». Il y a aussi quelques beaux tableaux visuels, mais relativeme­nt peu, compte tenu du faut que JeanFranço­is Boisvenue est aussi concepteur vidéo et scénograph­e.

Une finale ludique vient boucler cette oeuvre inégale. Annoncée comme le premier d’une série de trois «essais poético-politiques», cette production de La nuit/Le bruit incite, malgré les bémols, force à attendre la suite.

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GOPESA PAQUETTE Le solo comporte des éléments grinçants, tel un discours de Philippe Couillard revisité sur un solo de guitare métal…

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