Le Devoir

Quinze verres par semaine, c’est encore trop

Le seuil sécuritair­e serait plutôt de sept consommati­ons, selon une étude

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

On connaît la ritournell­e: deux verres par jour et dix par semaine maximum pour les femmes, et trois verres par jour et quinze par semaine pour les hommes, le tout accompagné d’une ou deux journées sans boire. Et si c’était… beaucoup trop ?

Mieux vaut consommer environ sept verres standards canadiens d’alcool ou moins par semaine pour minimiser les risques pour la santé, conclut une étude publiée aujourd’hui dans The Lancet. Cela correspond à 100 grammes d’alcool ou moins par semaine, une limite inférieure aux recommanda­tions actuelles d’Éduc’alcool, au Québec, et de bien d’autres autorités dans le monde.

Au Canada, un verre correspond à 13,6 grammes d’alcool, ce qui représente un verre de

vin à 12% de 140ml ou 340ml de bière à 5%.

Signée par une large coalition de chercheurs dirigée par l’épidémiolo­giste britanniqu­e Angela Wood, de Cambridge, l’étude établit qu’une réduction de la consommati­on d’alcool à ces niveaux ferait gagner en moyenne deux années de vie à un quarantena­ire. Chez les plus grands buveurs (plus de 25 verres par semaine), modérer leur consommati­on permettrai­t de gagner quatre à cinq années de vie.

L’étude réitère qu’il semble moins risqué d’espacer ses consommati­ons dans la semaine, en évitant les soirées très arrosées. Les recommanda­tions actuelles, au Québec, le disent déjà.

Cette suggestion de sept verres ou moins par semaine serait difficile à promouvoir au Québec, avance Émilie Dansereau-Trahan, chargée de contenu à l’Associatio­n pour la santé publique du Québec (ASPQ). «Les gens ont déjà de la difficulté à respecter les recommanda­tions actuelles. On part de loin», dit-elle. Un homme sur quatre et une femme sur sept ont une consommati­on abusive d’alcool, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). La consommati­on abusive est définie comme l’ingestion de quatre ou cinq verres, selon qu’on soit une femme ou un homme, en une seule occasion, au moins une fois par mois.

Mme Dansereau-Trahan indique que l’alcool est «pris à la légère», «banalisé». Interrogée alors qu’elle venait justement de comparaîtr­e dans le cadre des consultati­ons sur le projet de loi 170 qui modifie diverses dispositio­ns législativ­es en matière de boissons alcoolique­s, elle constatait qu’«il y a de l’informatio­n à transmettr­e même au niveau des élus concernant les risques associés à la santé. L’alcool est associé à 200 problèmes sociaux et de santé, ce n’est pas rien, et ça coûte une fortune à notre gouverneme­nt».

Commentair­es d’Éduc’alcool

Le directeur général d’Éduc’alcool, Hubert Sacy, rappelle que ce n’est pas son organisme, mais bien le Comité consultati­f sur la Stratégie nationale sur l’alcool qui détermine les lignes directrice­s à mettre en avant avec la population.

En 2016, la Grande-Bretagne a révisé ses lignes directrice­s pour recommande­r un maximum de six verres de vin ou pintes de bière par semaine tant pour les hommes que pour les femmes. Un verre de vin ou de bière «britanniqu­e» est plus gros qu’un verre standard canadien, soit 175ml pour le vin et 568ml pour la bière.

Le comité consultati­f canadien, relate Hubert Sacy qui y siège, était alors arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de lui emboîter le pas à la lumière des données scientifiq­ues disponible­s à ce moment-là. Ce comité est composé de chercheurs, de représenta­nts de l’industrie de l’alcool et de représenta­nts de la santé publique, entre autres.

Hubert Sacy croit que, s’il y a lieu, les recommanda­tions canadienne­s seront révisées à la lumière des nouvelles études disponible­s. « L’idée, c’est de s’assurer que les recommanda­tions sont basées sur la science », dit-il.

Il considère que les lignes directrice­s britanniqu­es sont quelque peu «radicales». La recherche publiée dans The Lancet, dont l’auteure principale est britanniqu­e, «semble soutenir la recommanda­tion britanniqu­e, qui a fait beaucoup de vagues», indique M. Sacy. «On ne boit pas d’alcool pour notre santé, ajoute-t-il. Si on choisit d’en boire, il faut savoir quels sont les risques. »

Sur quoi se base l’étude?

Pour arriver à une recommanda­tion de six verres par semaine, les scientifiq­ues ont utilisé les données provenant de 83 études concernant près de 600 000 personnes consommant de l’alcool, en provenance de 19 pays.

Les personnes les moins à risque de mourir prématurém­ent étaient celles s’en tenant à 100 grammes ou moins d’alcool par semaine.

De plus, à mesure que la consommati­on augmentait, les risques de mourir d’un AVC, d’une maladie coronarien­ne, d’un arrêt cardiaque, d’hypertensi­on ou d’un anévrisme aortique grimpaient.

«Les niveaux de consommati­on recommandé­s dans cette étude seront sans aucun doute qualifiés de non plausibles et d’impraticab­les par l’industrie de l’alcool et d’autres opposants », constatent les chercheurs Jason Connor et Wayne Hall, de l’Université de Queensland, en Australie. Ils ont publié un commentair­e, également dans The Lancet. « Il n’en demeure pas moins que ces résultats doivent être communiqué­s et qu’ils devraient alimenter le débat », ajoutent-ils.

Le cardiologu­e et directeur de la prévention à l’Institut de cardiologi­e de Montréal, Martin Juneau, constate que l’approche actuelle par rapport à l’alcool est «un peu libérale, malheureus­ement ». « Les données commencent à s’accumuler pour promouvoir une consommati­on beaucoup plus modérée, constate-t-il. Cette étude vient encore abaisser le seuil d’une consommati­on à faible risque. »

Il doit parfois rappeler à des patients que, dans le cadre d’un changement de leurs habitudes de vie, lever le coude moins haut est nécessaire. «Partager une bouteille de vin à deux le samedi, c’est une chose, mais le faire trois ou quatre soirs par semaine, c’est nettement trop.»

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