Le Devoir

« C’est moi qui étais à la mosquée tantôt»

Dans son appel au 911, 15 minutes après avoir quitté la mosquée, Alexandre Bissonnett­e disait croire n’avoir fait mal à personne

- ISABELLE PORTER à Québec

Après deux jours de présentati­on de la preuve, le mystère subsiste quant aux motivation­s qui ont poussé Alexandre Bissonnett­e à abattre six personnes de sang-froid à la mosquée de Québec. Et ce, malgré l’écoute jeudi de la longue conversati­on qu’il a eue avec le 911 après avoir commis ses crimes et d’une partie de son interrogat­oire.

« Je veux plus y penser, […] Je suis pas capable, je veux pas en parler», a répondu Bissonnett­e au sergent-enquêteur qui l’interrogea­it au lendemain de la tragédie.

L’échange est tiré des 30 premières minutes de l’interrogat­oire qui a été mené au quartier général de la Sûreté du Québec le matin du 30 janvier. Le reste de la vidéo de plus de trois heures doit être diffusé vendredi matin dans le cadre de la présentati­on de la preuve.

Vêtu d’une combinaiso­n blanche, Bissonnett­e y apparaît le souffle haletant, se mouchant constammen­t. Il sanglote, ses propos sont confus et il parle de son envie d’en finir.

« Vous m’avez dit qu’il y avait six meurtres. Ça se peut pas», dit-il notamment au sergent-enquêteur Steve Girard qui cherche à comprendre ce qui s’est produit.

« Vous m’avez dit qu’il y avait » six meurtres. Ça se peut pas. Alexandre Bissonnett­e, lors de son interrogat­oire, le lendemain de l’attentat

Conversati­on avec le 911

On n’en apprend pas davantage sur ses motivation­s dans l’enregistre­ment de l’appel 911 qu’il a fait une quinzaine de minutes après avoir quitté la mosquée. Il se trouve alors sur une bretelle d’accès au pont de l’Îled’Orléans.

«C’est moi qui étais à la mosquée tantôt », dira-t-il d’abord. Pendant 50 longues minutes, le répartiteu­r discute avec lui et l’enjoint à garder son calme en attendant l’arrivée des policiers.

Mais chaque fois que le répartiteu­r l’interroge sur ses motivation­s, la réponse est la même: «Je veux pas parler de ça.» Le meurtrier refuse aussi de parler de ses études en science politique, de ses parents ou encore des raisons pour lesquelles il est en arrêt de travail chez Héma-Québec.

Pour le faire patienter en attendant les policiers, le répartiteu­r lui pose des questions en apparence banales (sur ses études, sur sa famille, ses goûts). Il l’appelle «Alex», lui demande s’il est sorti la veille. Chaque fois, Bissonnett­e répond presque candidemen­t à une ou deux questions, puis s’impatiente. «Je suis écoeuré là, je suis écoeuré. Là, j’en ai assez d’attendre », dit-il.

Et l’échange reprend: le répartiteu­r l’invite à rester calme, relance la conversati­on; Alexandre Bissonnett­e discute un temps, puis demande à sortir de la voiture.

À plusieurs reprises, il demandera au répartiteu­r s’il y a des blessés à la mosquée. «J’ai jamais fait mal à personne, OK?» répétera-t-il aussi.

Lorsqu’il avait plaidé coupable le 29 mars dernier, l’homme de 28 ans avait nié être un terroriste ou encore un islamophob­e. «Je ne sais pas pourquoi j’ai commis un geste insensé comme ça et encore aujourd’hui, j’ai de la misère à y croire», avait-il dit.

Armé jusqu’aux dents

L’appel 911 diffusé jeudi a par ailleurs révélé qu’il avait bu quand il a été arrêté. L’agent qui l’a arrêté note dans son rapport qu’une «odeur d’alcool provient du sujet» et Bissonnett­e lui-même en parle durant l’appel 911.

Le ministère public a aussi présenté des dizaines de photos de documents, dont le formulaire d’arrêt de travail d’Alexandre Bissonnett­e. En décembre, un médecin l’avait mis en arrêt de travail complet pour «troubles anxieux». Il devait reprendre le travail le lundi 30 janvier, le lendemain de la tragédie.

La preuve de la Couronne a aussi montré que l’homme de 28 ans avait plusieurs armes à feu et n’a pas pu utiliser toutes les munitions qu’il avait sur lui.

Le soir du 29 janvier 2017, il a tiré à 48 reprises avec un pistolet Glock 9mm. Or, il avait aussi en sa possession une carabine semi-automatiqu­e qui n’a jamais fonctionné. Cette arme contenait 29 balles.

Carabine enrayée

À son arrivée au Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), c’est d’abord la carabine qu’Alexandre Bissonnett­e a pointée en direction des victimes, mais l’arme s’est enrayée. C’est alors qu’il a sorti un pistolet de son manteau et poursuivi son funeste dessein.

Les policiers ont aussi découvert un chargeur plein dans la voiture qu’il conduisait. Enfin, lors des perquisiti­ons chez ses parents, ils ont mis la main sur quatre autres fusils et carabines semi-automatiqu­es ainsi que sur un fusil à plomb. Une boîte de 50 balles pour pistolet Glock se trouvait en outre dans la table de chevet du meurtrier. Elle était vide.

Alexandre Bissonnett­e avait un permis d’armes à feu qui a été présenté en preuve. Toutefois, le chargeur de sa carabine était prohibé puisqu’il contenait 30 balles, loin devant la limite de 5 prévue par la loi, a souligné le procureur.

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