Le Devoir

Désinvoltu­re et raccourcis au sujet des mères porteuses

- MARIA DE KONINCK Professeur­e émérite au Départemen­t de médecine sociale et préventive de l’Université Laval

Le député Housefathe­r, qui a annoncé le dépôt d’un projet de loi visant à autoriser la rémunérati­on des mères porteuses, s’est expliqué dans une lettre parue dans Le Devoir le 11 avril. Cette lettre contient des affirmatio­ns et des raccourcis qui justifient l’inquiétude manifestée par plusieurs depuis l’annonce. En voici quelques exemples: «[…] n’ont eu d’autre choix que de se rendre à l’étranger pour devenir parents, puisque la LPA interdit la rétributio­n (autre que le remboursem­ent des frais) des donneurs de spermatozo­ïdes, des donneuses d’ovules et des services de mère porteuse.» Est-ce là vraiment la seule façon de devenir parents, en payant? «Nous devons, en tant que Canadiens, revoir les limites qui empêchent un nombre important de Canadiens aptes à devenir parents de le devenir au Canada.» Refuser un marché de l’enfant à naître empêche les Canadiens de devenir parents? Qu’en est-il des autres formes de parentalit­é, telle l’adoption? Pourquoi ne semble-t-on pas vouloir fournir d’efforts pour améliorer l’accessibil­ité à l’adoption et ne viser que l’introducti­on d’un marché de la procréatio­n assistée, alors que tant d’enfants déjà nés ont besoin de parents?

«Nous devons offrir une solution canadienne aux parents canadiens potentiels pour qu’ils n’aient plus à surmonter toutes les entraves logistique­s et juridiques actuelles liées à la conception et à la naissance d’un enfant à l’extérieur du pays et aux démarches pour l’amener au Canada.» Ces «entraves» étant surmontées ailleurs, il faut les lever au Canada? Devrons-nous dorénavant encourager les gens à procéder ailleurs, où les règles ne sont pas les mêmes, pour revenir au Canada et forcer le changement des lois qui contraigne­nt ? Le député semble suggérer les États-Unis comme modèle. Sait-il, entre autres, que ce sont souvent des épouses de militaires en service qui y deviennent mères porteuses pour améliorer leur sort? Mais surtout, sait-il qu’ailleurs on agit autrement? Sait-il que la grande majorité des pays membres de l’Union européenne interdit le recours aux mères porteuses? Sait-il que plusieurs pays ont fermé leurs portes au tourisme procréatif devant les abus que génère la commercial­isation de la procréatio­n?

Les pressions sont fortes à l’intérieur du Parti libéral du Canada pour aller vers la marchandis­ation du corps des femmes et la négation du droit de l’enfant à connaître ses origines maternelle­s. Le discours du député Housefathe­r, de son collègue le ministre Brison et du lobby visant à introduire au Canada le commerce de la procréatio­n ne parle que du «bonheur» des parents. Qu’en est-il du statut et du droit des femmes canadienne­s à leur dignité comme personnes et du «bonheur» des enfants dont la naissance aura été planifiée dans un contexte contractue­l et marchand? Espérons qu’avant d’adopter «la solution canadienne» proposée par le député Housefathe­r les parlementa­ires, en commençant par les députées du Parti libéral, sauront éviter les raccourcis et discuter de son contenu sous un angle d’éthique sociale, afin d’en mesurer les conséquenc­es pour les femmes, les enfants et notre collectivi­té. «Évolution» et «progrès» ne signifient pas nécessaire­ment opter pour la chosificat­ion et la commercial­isation.

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