Le Devoir

La corruption érode la gouvernanc­e démocratiq­ue en Amérique latine

- NICOLAS FALOMIR LOCKHART Coordonnat­eur du Centre d’études interaméri­caines de l’Université Laval

Les leaders des Amériques se rencontren­t à l’occasion du VIIIe Sommet des Amériques, à Lima, le 13 et 14 avril, pour discuter de la corruption, une maladie endémique qui met en péril la stabilité démocratiq­ue de la région. Les récents scandales de corruption, qui ont donné lieu à la démission du président du pays hôte de l’événement, Pedro Kuczynski, et à la détention de l’ancien président Luis Inácio «Lula» da Silva au Brésil, illustrent ce phénomène.

La défense de la démocratie a été à l’ordre du jour des Sommets depuis la première rencontre en 1994 à Miami, mais surtout lors de la troisième rencontre, à Québec en 2001. À cette occasion, les chefs d’État et de gouverneme­nt de l’hémisphère ont convenu de la préparatio­n d’une Charte interaméri­caine sur la démocratie, adoptée quelques mois plus tard à Lima, plus précisémen­t le 11 septembre 2001.

Les instrument­s de protection de la démocratie qui la précédaien­t, par exemple la Résolution 1080, de 1991, de l’Organisati­on des États américains (OEA), venaient interdire toute interrupti­on abrupte du processus politico-institutio­nnel ou de l’exercice du pouvoir par un gouverneme­nt démocratiq­uement élu (notamment des coups d’État). La Charte est venue compléter ces instrument­s en incluant la figure légale de l’altération de l’ordre constituti­onnel qui menace sérieuseme­nt la démocratie.

Ainsi, les mécanismes existants de protection de la démocratie dans l’hémisphère visent à défendre tant l’accès au pouvoir selon les règles de la démocratie que son exercice dans le cadre des limites constituti­onnelles de chaque pays. L’efficacité de ces mécanismes est pourtant irrégulièr­e. Même si les années où les militaires prenaient des voix d’actions directes dans la vie politique semblent révolues — avec pourtant certaines exceptions préoccupan­tes, dont celle du Honduras en 2009 —, les réactions quant aux atteintes à la séparation de pouvoirs ne sont pas systématiq­ues, et dans bien des cas, timides. C’est le cas notamment de l’exercice abusif du pouvoir par Nicolas Maduro au Venezuela; malgré ses ingérences dans le pouvoir judiciaire, la dissolutio­n de l’Assemblée nationale et la persécutio­n des leaders de l’opposition, l’OEA n’a pas réussi à mettre en oeuvre son mécanisme de protection.

Système politique en santé

Au-delà des limites signalées, cette protection de la démocratie axée sur l’accès et l’exercice du pouvoir a besoin d’être complétée par une approche qui se penche aussi sur le fonctionne­ment du système politique. En effet, les scandales de corruption dans plusieurs pays d’Amérique latine ont mis en évidence qu’un système politique en santé est aussi important que la protection des institutio­ns démocratiq­ues. Le complexe tissu de corruption au Brésil, dont l’épisode le plus récent s’est soldé par la détention de Lula, ainsi que la démission de Pedro Kuczynski au Pérou, montre comment la corruption érode les systèmes politiques et creuse sa crédibilit­é.

Au Brésil, en 2004, une perquisiti­on dans une banale station-service au sud du pays — qui a donné le nom au scandale « Lava Jato » — a mis au jour un système de blanchieme­nt d’argent de plus de 3,7 milliards CAD. Ce système a été monté pour permettre aux géants tels que Odebrecht et OAS de remporter à tour de rôle les juteux appels d’offres de PetroBras, ainsi que de détourner des fonds pour financer les partis politiques et/ou l’enrichisse­ment personnel des politicien­s.

Les ramificati­ons de ce réseau de corruption ont atteint les sommets du pouvoir. Même Dilma Rousseff, présidente réélue en 2015, en a payé le prix. Sans avoir été directemen­t impliquée dans le scandale, celui-ci a fortement miné sa popularité puisqu’elle a été ministre de l’Énergie de 2003 à 2005 et présidente du conseil d’administra­tion de Petrobras. Paradoxale­ment, sa destitutio­n a été approuvée par des parlementa­ires poursuivis et/ou condamnés pour corruption. […]

Sans entrer dans le débat des condamnati­ons basées sur la controvers­ée figure légale de la «dénonciati­on récompensé­e», la condamnati­on de Lula à 12 ans de prison lui interdit de participer à la course présidenti­elle d’octobre — malgré les intentions de vote qui le créditent de 35% d’appuis. Le scénario politique qui résulte de cette situation confirme la perte de crédibilit­é de la classe politique. Seul Jair Bolsonaro, un outsider qui revendique la dictature et qui est connu pour ses propos homophobes et misogynes, est crédité de 17% dans les intentions de vote.

La corruption ne connaît pas de frontières. Au Pérou, le président Kuczynski a démissionn­é après avoir été touché par les confession­s des dirigeants d’Odebrecht d’avoir payé des pots-de-vin au Pérou pour gagner des licitation­s à l’époque où il était ministre de l’Économie. Les ramificati­ons ne s’arrêtent toutefois pas au Pérou; ces mêmes dirigeants ont également reconnu avoir eu de telles pratiques en Équateur, en Argentine et au Venezuela.

Les Amériques se doivent d’amorcer un débat sérieux qui reconnaît la corruption comme un problème présent dans tous les niveaux de la société, mais surtout qui affecte gravement la bonne gouvernanc­e. Ceci étant dit, il semble que le financemen­t de la politique constitue un chapitre incontourn­able dans cette discussion.

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NELSON ALMEIDA AGENCE FRANCE-PRESSE Manifestat­ion contre l’ancien président Lula au Brésil. Le complexe tissu de corruption au pays montre comment la corruption érode les systèmes politiques et creuse sa crédibilit­é.

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