Le Devoir

Cachez ce que je ne saurais voir

- LUC PAPINEAU Enseignant et coauteur du Grand mensonge de l’éducation

Récemment, des élèves de la région de Québec portant un carré jaune ont remis en question les règles entourant la tenue vestimenta­ire permise dans leurs écoles. La relance de cet éternel débat montre bien toute l’hypocrisie et le malaise entourant la définition des genres, mais aussi la sexualité de nos jeunes.

Il est indiscutab­le que ces codes de vie sont genrés; ils définissen­t ainsi la tenue vestimenta­ire des élèves selon le sexe: par exemple, un garçon porte un short; une fille, une jupe. Mais que fait-on devant les cas des élèves qui ne s’identifien­t pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance? On peut alors comprendre que le jeune qui vit une volonté d’affirmatio­n de son identité de genre ne se sente pas nécessaire­ment accueilli dans sa démarche. Chaque école, chaque commission scolaire ont leur propres règles — écrites et non écrites — en la matière. L’absence de directives ministérie­lles claires à ce propos rend d’autant plus insécurisa­nte toute demande de la part d’un jeune vivant cette situation.

Un autre point qui a été soulevé récemment par ces carrés jaunes veut que ces codes soient essentiell­ement discrimina­toires envers les filles. Or, il serait bien plus exact d’indiquer que ces codes limitent tous les élèves, quel que soit leur sexe, dans leurs choix vestimenta­ires. Ainsi, généraleme­nt, pour les garçons, de nombreuses règles interdisen­t le port de la camisole en classe (comme des maillots de basketball) ou de pantalons très bas sur les hanches. Dans les faits, c’est le choix de tous les jeunes qui est limité ici, mais il faut noter que les filles sont souvent plus visées par la mode, les pressions sociales définissan­t le corps féminin et l’hypersexua­lisation.

Un malaise quant à l’éducation et à l’affirmatio­n de nos jeunes

Bien des intervenan­ts éprouvent un malaise quand vient le temps de déterminer les règles entourant une tenue vestimenta­ire acceptable dans nos écoles. On comprendra qu’il s’agit d’une situation qui soulève des points de vue moraux, éthiques, parfois même religieux. Ces intervenan­ts sont aussi remis en question quant à leurs valeurs et à ce qui constitue souvent chez eux des préjugés. Ils vivent aussi ce qu’on peut appeler un choc génération­nel.

« Pute ou prude », voilà le choix qu’on semble donner à plusieurs jeunes filles qui vivent un déchiremen­t entre les valeurs d’appartenan­ce à une image de la femme véhiculée dans notre société et les valeurs de certaines familles ou écoles. Il suffit de penser aux propos édifiants d’un animateur de radio de Québec qui n’hésite pas à traiter de «guidoune» une des porte-parole des carrés jaunes âgée de 15 ans pour comprendre ce qu’est le slutshamin­g. Si l’on était cynique, on pourrait se demander où est la différence entre ces gens dont les idées excluent certains vêtements à l’école et ces religieux zélés obligeant des femmes à porter une tenue «modeste». Dans les faits, il n’y en a aucune, dans la mesure où chacun des deux considère que la jeune fille est responsabl­e des regards pervers qu’elle attire. Pourtant, n’y aurait-il pas lieu de véritablem­ent éduquer nos enfants à ce sujet ?

On pourra souligner que le ministère de l’Éducation instaurera un programme d’éducation à la sexualité l’année prochaine dans les écoles québécoise­s. Mais faut-il rappeler toute la saga entourant celui-ci ? Contenu flou, personnel peu formé: il est difficile de croire que cette initiative réglera quoi que ce soit à ce sujet.

Bien sûr, certains diront que l’école a pour rôle de former les jeunes au marché du travail où il existe des codes vestimenta­ires et que, plus tôt, ils l’apprendron­t, mieux ce sera. Mais c’est oublier que l’école est avant tout un milieu de vie où l’on doit former des citoyens faisant preuve d’ouverture et de réflexion. Forme-t-on vraiment des esprits critiques en interdisan­t certaines tenues plutôt qu’en éduquant? A-t-on véritablem­ent songé aux valeurs qui guident ces codes ? À cet égard, la contestati­on des carrés jaunes est un appel à la réflexion.

Souvent, afin d’éviter de se prononcer réellement par rapport à toutes ces questions, certaines écoles choisissen­t d’imposer un uniforme obligatoir­e auprès d’un fournisseu­r unique. Soulignons tout d’abord qu’il s’agit généraleme­nt d’une solution genrée qui nie l’identité et l’affirmatio­n des jeunes. Ensuite, on peut se questionne­r sur le fait de privilégie­r un seul fournisseu­r.

Dans les faits, l’imposition d’un uniforme obligatoir­e dans nos écoles ne constitue pas une solution à un problème, mais une autre manifestat­ion de celui-ci. Au lieu de permettre aux jeunes d’établir leur propre identité à un moment important du développem­ent de la personnali­té d’un individu ainsi que de les amener à adopter des comporteme­nts responsabl­es et réfléchis, on interdit au lieu d’éduquer.

S’il est difficile actuelleme­nt de déterminer un code vestimenta­ire dans nos écoles, c’est parce que notre société de plus en plus éclatée n’arrive pas à dégager un consensus à ce sujet. Et nos écoles répondent du mieux qu’elles le peuvent, en choisissan­t parfois la voie de la facilité avec un uniforme obligatoir­e, à ce problème qui prendra encore plus d’ampleur si on n’y réfléchit pas correcteme­nt.

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