Cachez ce que je ne saurais voir
Récemment, des élèves de la région de Québec portant un carré jaune ont remis en question les règles entourant la tenue vestimentaire permise dans leurs écoles. La relance de cet éternel débat montre bien toute l’hypocrisie et le malaise entourant la définition des genres, mais aussi la sexualité de nos jeunes.
Il est indiscutable que ces codes de vie sont genrés; ils définissent ainsi la tenue vestimentaire des élèves selon le sexe: par exemple, un garçon porte un short; une fille, une jupe. Mais que fait-on devant les cas des élèves qui ne s’identifient pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance? On peut alors comprendre que le jeune qui vit une volonté d’affirmation de son identité de genre ne se sente pas nécessairement accueilli dans sa démarche. Chaque école, chaque commission scolaire ont leur propres règles — écrites et non écrites — en la matière. L’absence de directives ministérielles claires à ce propos rend d’autant plus insécurisante toute demande de la part d’un jeune vivant cette situation.
Un autre point qui a été soulevé récemment par ces carrés jaunes veut que ces codes soient essentiellement discriminatoires envers les filles. Or, il serait bien plus exact d’indiquer que ces codes limitent tous les élèves, quel que soit leur sexe, dans leurs choix vestimentaires. Ainsi, généralement, pour les garçons, de nombreuses règles interdisent le port de la camisole en classe (comme des maillots de basketball) ou de pantalons très bas sur les hanches. Dans les faits, c’est le choix de tous les jeunes qui est limité ici, mais il faut noter que les filles sont souvent plus visées par la mode, les pressions sociales définissant le corps féminin et l’hypersexualisation.
Un malaise quant à l’éducation et à l’affirmation de nos jeunes
Bien des intervenants éprouvent un malaise quand vient le temps de déterminer les règles entourant une tenue vestimentaire acceptable dans nos écoles. On comprendra qu’il s’agit d’une situation qui soulève des points de vue moraux, éthiques, parfois même religieux. Ces intervenants sont aussi remis en question quant à leurs valeurs et à ce qui constitue souvent chez eux des préjugés. Ils vivent aussi ce qu’on peut appeler un choc générationnel.
« Pute ou prude », voilà le choix qu’on semble donner à plusieurs jeunes filles qui vivent un déchirement entre les valeurs d’appartenance à une image de la femme véhiculée dans notre société et les valeurs de certaines familles ou écoles. Il suffit de penser aux propos édifiants d’un animateur de radio de Québec qui n’hésite pas à traiter de «guidoune» une des porte-parole des carrés jaunes âgée de 15 ans pour comprendre ce qu’est le slutshaming. Si l’on était cynique, on pourrait se demander où est la différence entre ces gens dont les idées excluent certains vêtements à l’école et ces religieux zélés obligeant des femmes à porter une tenue «modeste». Dans les faits, il n’y en a aucune, dans la mesure où chacun des deux considère que la jeune fille est responsable des regards pervers qu’elle attire. Pourtant, n’y aurait-il pas lieu de véritablement éduquer nos enfants à ce sujet ?
On pourra souligner que le ministère de l’Éducation instaurera un programme d’éducation à la sexualité l’année prochaine dans les écoles québécoises. Mais faut-il rappeler toute la saga entourant celui-ci ? Contenu flou, personnel peu formé: il est difficile de croire que cette initiative réglera quoi que ce soit à ce sujet.
Bien sûr, certains diront que l’école a pour rôle de former les jeunes au marché du travail où il existe des codes vestimentaires et que, plus tôt, ils l’apprendront, mieux ce sera. Mais c’est oublier que l’école est avant tout un milieu de vie où l’on doit former des citoyens faisant preuve d’ouverture et de réflexion. Forme-t-on vraiment des esprits critiques en interdisant certaines tenues plutôt qu’en éduquant? A-t-on véritablement songé aux valeurs qui guident ces codes ? À cet égard, la contestation des carrés jaunes est un appel à la réflexion.
Souvent, afin d’éviter de se prononcer réellement par rapport à toutes ces questions, certaines écoles choisissent d’imposer un uniforme obligatoire auprès d’un fournisseur unique. Soulignons tout d’abord qu’il s’agit généralement d’une solution genrée qui nie l’identité et l’affirmation des jeunes. Ensuite, on peut se questionner sur le fait de privilégier un seul fournisseur.
Dans les faits, l’imposition d’un uniforme obligatoire dans nos écoles ne constitue pas une solution à un problème, mais une autre manifestation de celui-ci. Au lieu de permettre aux jeunes d’établir leur propre identité à un moment important du développement de la personnalité d’un individu ainsi que de les amener à adopter des comportements responsables et réfléchis, on interdit au lieu d’éduquer.
S’il est difficile actuellement de déterminer un code vestimentaire dans nos écoles, c’est parce que notre société de plus en plus éclatée n’arrive pas à dégager un consensus à ce sujet. Et nos écoles répondent du mieux qu’elles le peuvent, en choisissant parfois la voie de la facilité avec un uniforme obligatoire, à ce problème qui prendra encore plus d’ampleur si on n’y réfléchit pas correctement.