Une sélection officielle à saveur politique
Femmes et dissidents seront présents, mais aucun Québécois n’a été choisi
On avait vu venir le coup, mais c’est confirmé. Ni The Death and Life of John F. Donovan de Xavier Dolan ni La chute de l’empire américain de Denys Arcand ne défendront les couleurs du Québec sur la Croisette cette année. Aucun film québécois n’a été retenu dans la Sélection officielle, pas davantage en compétition qu’à Un certain regard, ni même parmi les courts métrages. Il restera à suivre au cours des prochains jours le dévoilement des oeuvres des sections parallèles la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique.
Le Festival de Cannes se déroulera du 8 au 19 mai avec 18 films en lice pour la Palme d’or, auxquels pourraient se rajouter quelques titres. Le délégué général de la Sélection officielle, Thierry Frémaux, a dû expliquer jeudi l’absence de Dolan, enfant chéri de la maison, précisant qu’il avait souhaité l’inviter, que ni le cinéaste ni les producteurs ne s’y opposaient, mais que le film était de retour en salle de montage. «Vous retrouverez ce film-là à l’automne.» Le premier long métrage en anglais du cinéaste de Mommy est attendu au Festival de Toronto.
L’année des femmes?
Tout est politique dit-on, et la présence de trois femmes cinéastes pour la course à la Palme d’or en cette année #MeToo peut être reliée au désir de marquer le coup, même si Thierry Frémaux se défend de toute discrimination positive en ce sens. Aux côtés de l’Italienne Alice Rohrwacher avec le conte poétique Lazzaro Felice (seconde participation après Les merveilles), la Libanaise Nadine Labaki (cinéaste de Caramel) avec Capharnaüm, abordant la délinquance juvénile. Également une nouvelle venue du Kurdistan: Eva Husson, avec La fille du soleil, sur la rencontre d’une commandante de l’armée kurde et d’une journaliste française (Emmanuelle Bercot).
Le délégué général, qui se fait reprocher souvent de remettre toujours en selle les mêmes abonnés, annonce du sang neuf, aux côtés des noms confirmés. L’Asie est le continent d’élection cette année.
Outre l’Iranien Asghar Farhadi pour Todos lo saben, tourné en Espagne avec le couple oscarisé Xavier Bardem-Penélope Cruz, un ténor comme Jean-Luc Godard, vétéran du lot à 88 ans, atterrit pour la septième fois en compétition, avec son film essai Le livre d’images. Le suspense sera de découvrir si ce grand sauvage se pointera sur la Croisette, lui qu’on aura vainement attendu quatre ans plus tôt avec son Adieu au langage, primé par le jury.
Jafar Panahi, cinéaste iranien phare, assigné à résidence à Téhéran et interdit de filmer, livrera Three Faces, tourné sous le manteau, comme ses derniers longs métrages. Même topo pour le Russe Kirill Serebrennikov, directeur du théâtre Gogol, dont le film L’été est retenu en compétition. Assigné à résidence également, en fonction d’une nébuleuse affaire de détournement de fonds qui semble cacher un désaveu de Moscou pour dissidence. Présumons que ni l’un ni l’autre ne pourront fouler le tapis rouge malgré les demandes du Festival.
Loin des paillettes
L’Afro-Américain Spike Lee, légendaire lui aussi, accompagnera BlacKkKlansman, adapté d’une histoire d’un policier afro-américain ayant infiltré le Ku Klux Klan (avec John David Washington et Adam Driver). David Robert Mitchell pour Under the Silver Lake, thriller qui donne la vedette à Andrew Garfield et Riley Keough, sera avec lui le seul cinéaste américain de la course.
Du côté de la France, après La loi du marché, le cinéaste Stéphane Brizé livrera une autre oeuvre sociale avec Vincent Lindon (primé la dernière fois). Dans En guerre, l’acteur y incarne un ouvrier en colère. Christophe Honoré, le cinéaste de Chansons d’amour, revient avec la comédie romantique Plaire, aimer et courir vite, réunissant Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps. Grand abonné: l’Italien Matteo Garrone sera au poste avec Dogman, retour sur un fait divers de 1988, assassinat d’un chef de gang par un toiletteur pour chiens. L’oscarisé d’Ida, le Polonais Pawel Pawlikowski, accompagnera Cold War, histoire d’amour passionnée sous climat de guerre froide.
Parmi les Asiatiques, le très attendu Chinois Jia Zhangke (Still Life, A Touch of Sin) avec Ash Is Purest White, propose une histoire d’amour sur fond de rixes entre gangs qui met en scène Zhao Tao. Également le Japonais Hirokazu KoreEda, cinéaste de Nobody Knows, en lice pour Shoplifters, histoire d’une enfant adoptée par une famille de voleurs, et Burning, drame policier du SudCoréen Lee Chang-dong.
Hors compétition, où se retrouvent en général les grosses pointures à stars, on ne compte pour l’instant que Solo: A Star Wars Story de Ron Howard, destiné à attirer les foules, et la comédie dramatique Le grand bain du Français Gilles Lellouche avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet et Benoît Poelvoorde.
C’est en Séances spéciales qu’atterriront Ten Years in Thailand, dernier opus du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, le palmé d’or d’Oncle Bonmee, tout comme Le pape François. Un homme de parole de l’Allemand Wim Wenders.
Netflix refoulé
Cannes semble se recentrer loin de la pluie de paillettes en cette édition où Netflix sera le grand absent du bal après deux films en compétition l’an dernier. Les nouveaux règlements, interdisant la compétition aux productions qui ne prendront pas l’affiche en salles en sol français, participent à un climat de tensions avec Hollywood, palpable dans cette sélection.
Thierry Frémaux a-t-il regretté l’absence du long métrage inachevé d’Orson Welles, The Other Side of the Wind, que le cinéaste Peter Bognanovich et le producteur Frank Mashall ont terminé à leur manière, prévu en séance spéciale, mais retiré par Netflix? Le film Roma, du Mexicain Alfonso Cuarón, et Norway, du Britannique Paul Greengrass, sur le massacre perpétré par Anders Breivik en 2011, étaient également des productions Netflix. La guerre entre le Palais et la mégaplateforme ne fait que commencer.