Le Devoir

De la nécessaire épreuve des faits

À six mois des élections, Michel C. Auger s’attaque à 25 mythes du débat québécois

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Le livre que lance cette semaine l’animateur et chroniqueu­r Michel C. Auger s’ouvre sur un constat. «Le grand ennemi de la vérité, le plus souvent, n’est pas le mensonge, mais le mythe. […] Nous soumettons tous les faits à un jeu préfabriqu­é d’interpréta­tions. Nous profitons du confort de l’opinion sans faire l’effort de la pensée.»

Cette paresse de réflexion ne date toutefois pas d’hier… et n’est certaineme­nt pas l’apanage de la société québécoise. À preuve: ce n’est pas Auger qui a brossé ce portrait de situation, mais bien John F. Kennedy dans un discours prononcé en 1962.

Mais c’est encore et toujours un constat juste, croit Michel C. Auger. «À écouter le débat public ces temps-ci, on pourrait penser que la loi 101 n’a jamais été adoptée il y a 40 ans et qu’elle ne fut pas un remarquabl­e succès, écrit-il dans la préface de l’ouvrage. On pourrait aussi croire que l’immigratio­n est la première menace à la survie d’une société francophon­e en Amérique. Ou que le Québec est le prisonnier d’une Constituti­on néocolonia­le et immuable qu’il ne peut modifier. »

Or, voilà autant «d’idées reçues et d’exagératio­ns de la vérité ayant pu être fondées dans un passé lointain, mais qui prennent encore de nos jours une place démesurée dans le discours public ».

C’est donc pour tenter de recadrer certains débats à quelques mois des élections qu’Auger a accepté une propositio­n des Éditions La Presse. Son livre, utilitaire­ment titré 25 mythes à déboulonne­r en politique québécoise, se découpe en autant de textes thématique­s répartis en quatre grands chapitres — identité, politique, société, économie. «Les 25 sujets viennent me chercher d’une manière ou d’une autre», dit-il en entretien.

Quelque 1000 mots par texte, un style clair et fluide, quelques punchs ici et là… Tiens donc: on peut sortir la chronique du média, mais pas le chroniqueu­r du gars, semble-t-il. «Il n’est en effet pas bien loin de l’auteur, constate Michel C. Auger. C’est le ton que je voulais utiliser, c’est la forme que je connais bien», dit celui qui a oeuvré comme journalist­e et chroniqueu­r politique dans plusieurs quotidiens du Québec — notamment au Devoir à la fin des années 1980 — avant de rejoindre Radio-Canada.

Confronter

Auger estime que «ce n’est pas un ouvrage savant». Soit. Mais on précisera que c’est largement documenté: on ne démonte pas de mythes à la seule force de l’interpréta­tion personnell­e. Aux idées préconçues, il oppose certes son analyse personnell­e, mais surtout des statistiqu­es, des comparaiso­ns, des explicatio­ns.

C’est là une manière de soumettre les mythes en question à une solide épreuve des faits. Ou comme disait Kennedy dans ce même discours de 1962: «Nous devons aujourd’hui passer de la répétition rassurante de phrases éculées à une nouvelle et difficile, mais essentiell­e, confrontat­ion avec la réalité. »

Ainsi du premier mythe abordé dans le livre, qui veut que « le français [soit] en recul au Québec ». « J’ai été surpris de voir que 94,5 % des Québécois sont capables de tenir une conversati­on en français, indique Auger. On utilise d’habitude des chiffres alarmistes pour parler de ce dossier. Mais ce 94,5 % nous dit que la loi 101 a été un formidable succès, et qu’on n’a pas échappé beaucoup de monde. »

Même chose pour la question de l’immigratio­n, poursuit Auger. Le quatrième mythe auquel il s’intéresse («Il faut absolument baisser les seuils d’immigratio­n») se heurte selon lui à la réalité de la difficulté qu’éprouve Québec à garder ses nouveaux arrivants — notamment à cause des problèmes qu’ils rencontren­t pour se trouver un emploi.

«Le solde migratoire total du Québec — soit le nombre de nouveaux venus moins ceux qui repartent — n’est pas de 50 000, loin de là, écrit-il. Au cours des dernières années (de 2009 à 2016), il a varié entre 27 000 et 44 000. »

Auger rappelle dans le livre à quel point la moindre nouvelle touchant l’intégratio­n des immigrants donne lieu à des simplifica­tions rapides et à des débats explosifs. C’est la même chose pour plusieurs des autres mythes qu’il évoque: la laïcité qui ferait partie intégrante de l’identité québécoise moderne; le bonjour-hi en signe de déclin du français; la corruption au Québec; la puissance des syndicats; etc. «On exagère tellement d’éléments », remarque-t-il.

D’autres enjeux qu’il aborde sont plus subtils: les pouvoirs réels de Montréal; la portée de la loi sur la clarté; le caractère social-démocrate du Québec; la péréquatio­n. Mais là comme ailleurs, les débats s’appuient souvent sur les mauvaises bases.

Difficile de discuter raisonnabl­ement, au Québec? Michel C. Auger ne le pense pas pour autant. «Oui, les débats se répètent souvent. Et oui, il y a des mouvements politiques qui ont intérêt à garder les mythes vivants. […] Mais je pense qu’il ne faut pas juste se fier aux réseaux sociaux», qui peuvent donner l’impression que chacun est campé sur ses positions, dit-il. « Ça existe, des gens qui veulent s’informer.»

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? L’un des mythes auxquels s’attaque Auger est relatif à l’immigratio­n: un discours ambiant affirme que les seuils doivent être abaissés. Mais la réalité est que le Québec a du mal à retenir les arrivants.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’un des mythes auxquels s’attaque Auger est relatif à l’immigratio­n: un discours ambiant affirme que les seuils doivent être abaissés. Mais la réalité est que le Québec a du mal à retenir les arrivants.
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