Duperies et contradictions
Dans Beirut, Jon Hamm brille en négociateur alcoolo du Liban volatil de 1982
BEIRUT (V.O.) ★★★ 1/2 Drame d’espionnage de Brad Anderson. Avec Jon Hamm, Rosamund Pike, Idir Chender, Dean Norris, Shea Whigham, Larry Pine, Mark Pellegrino. États-Unis, 2018, 109 minutes.
Liban, 1972. Dans sa résidence diplomatique, l’Américain Mason Skiles divertit ses invités en leur résumant Beyrouth. Avec la verve des meilleurs vendeurs, il défend l’idée que toutes les factions qui y cohabitent dans une paix de façade passent leur temps à se jouer dans le dos. La chute de son pitch laisse entendre un parti pris pro-israélien. Mais voilà que la scène suivante révèle que Mason et son épouse Nicole ont pris sous leur aile un orphelin palestinien, Karim. S’ensuit une attaque terroriste qui coûtera la vie à Nicole, son goût de vivre à Mason, et à laquelle s’arrimera l’intrigue campée 10 ans plus tard. Or, tout l’esprit du film de Brad Anderson, simplement intitulé Beirut, tient dans ce prologue qui pose de manière limpide les contradictions non seulement du protagoniste, mais du contexte géopolitique.
Boston, 1982. Alcoolique fonctionnel à l’oeil triste, Mason exploite une petite firme d’arbitrage en difficulté. On n’a pas sitôt pris le pouls de sa déchéance que son passé le rattrape sous la forme d’une requête de la CIA. Il appert qu’un vieil ami de Mason, oui, du temps de Beyrouth, a été kidnappé par un groupe terroriste palestinien. Lequel groupe exige que Mason, pourtant hors circuit, agisse comme négociateur.
D’abord dépaysé par un Liban défiguré par la guerre civile en son absence, Mason regagne presque malgré lui de sa hardiesse à la perspective de mettre au jour les motivations secrètes des uns et des autres.
En surface, la situation est simple. D’une part, les kidnappeurs veulent la libération d’un des leurs, un terroriste notoire lié entre autres à l’attentat des Jeux olympiques de Munich dix ans plus tôt. D’autre part, la CIA souhaite récupérer un de ses agents. Un agent qui détient des informations, des noms, un réseau… Et s’il parlait ?
Controverse et constat
Au gré des révélations et retournements, on revient au postulat énoncé au départ par Mason : tous jouent double, voire triple jeu. Chacun a un objectif et cet objectif est rarement celui qu’on croit. À cet égard, lors du dévoilement de sa bande-annonce, le film a suscité la grogne au Moyen-Orient, plusieurs décriant une approche basée sur des clichés hollywoodiens perpétuant une diabolisation du monde arabe. À la décharge des détracteurs, ladite bande-annonce fait craindre de tels poncifs.
À l’époque, le scénariste Tony Gilroy plaida pour qu’on attende de voir le film avant de le dénoncer. Parenthèse : Brad Anderson (Session 9, Transsiberian) réalise avec force compétence et sens de la trépidation, mais Beirut porte d’abord l’empreinte de Gilroy. Bref, ce dernier dut secrètement être atterré par le montage racoleur mis en avant par le studio pour promouvoir une production qui, si elle n’est pas sans défauts sur la question de la représentation, est nuancée dans son propos.
En filigrane, Gilroy introduit en effet de manière subversive l’idée que toutes les parties en présence, à commencer par l’omnipotent gouvernement américain, sont capables de mettre en branle des conflits aux répercussions mondiales majeures pour des raisons, parfois, bassement personnelles. Ce peut être par esprit de vengeance, certes, mais ce peut également être pour effacer toute trace de quelque chose d’aussi insignifiant qu’un détournement de fonds.
L’utilisation ironique d’images d’archives du président Reagan offertes en guise d’épilogue dissipe les derniers doutes quant à la vision du film.
Charme suranné
On évoquait «l’empreinte» de Tony Gilroy: on la reconnaît à cette aisance à passer du macro au micro, à simplifier sans bêtifier. Gilroy est passé maître tant dans l’art du thriller d’espionnage (la série Jason Bourne) que dans celui du récit à entourloupes (Michael Clayton, Duplicité, qu’il a aussi réalisés). Au meilleur de sa forme, il parvient à faire en sorte que le spectateur se sente intelligent.
À propos de Jason Bourne, il est vrai que Beirut ne manque pas d’action, mais à terme, on évolue davantage dans un univers proche des romans de John le Carré. Là où il n’y a ni noir ni blanc : que du gris. Écrit en 1991, puis révisé ensuite (échos actuels à la Syrie), le scénario de Gilroy exsude pour le compte, et pas uniquement à cause de la période historique revisitée, un côté suranné pas désagréable du tout.
Jon Hamm (Mad Men )a parfaitement saisi ce ton et offre une interprétation pleine de panache en homme du monde sur le retour. Un autre atout pour Beirut, qui se révèle supérieur à ce que la promo laissait présager.
Pas surprenant, au fond, pour un film basé sur la notion de faux-semblant.